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dispersés l’un à Tehuacan, les autres à Orizaba, à Cordova ou à la Vera-Cruz, cette séparation, en dissolvant ou suspendant la conférence, voilait les divisions sans les supprimer. La vérité est que ces divisions subsistaient plus que jamais dans les actes comme dans les idées. Que pensait et que voulait le général Prim ? Il était difficile de le dire ; mais autour de lui, à son camp d’Orizaba, s’était formée une sorte d’atmosphère étrange. L’expédition espagnole avait son historiographe, son attirail d’imprimerie, qu’elle traînait avec elle, son journal, l’Eco d’Europa, et ce journal, où rien ne se publiait qui n’eût été autorisé au quartier-général, s’occupait à combattre les idées qu’on supposait être celles de quelque autre puissance ou à exalter le comte de Reus lui-même. « Il y a des personnes dont le nom même est un programme, disait-on ; il y a des individualités qui sont le symbole d’une grande entreprise. La personne et le nom du général Prim sont le symbole et le programme de cette expédition… C’est que nous avons là un noble capitaine, que la Grèce et Rome auraient élevé au rang de leurs dieux, un héros qui au moyen âge aurait été le fondateur d’une dynastie de rois… Pour condenser nos remarques, afin de nous bien faire comprendre, nous personnifions la pensée de l’expédition en un seul de ses représentans, le comte de Reus, et il nous est bien permis de le faire sans apparence de vanité nationale, car le plénipotentiaire espagnol, quoiqu’il ait toujours agi de concert avec les plénipotentiaires des deux autres nations, a été l’inspirateur et le conseiller de toutes les mesures qui ont été adoptées. En un mot, c’est l’âme de l’entreprise… Si le général Prim s’était laissé emporter par ses instincts belliqueux, le monde n’y aurait vu rien d’étrange, car ce n’eût été de sa part qu’ajouter un sujet de plus à sa galerie de tableaux, et le monde est accoutumé à cela. Ce qui semble nouveau dans sa vie, c’est l’héroïsme de la patience. La conduite du comte de Reus n’a pas seulement servi à dissiper les doutes du gouvernement mexicain, elle exerce partout une influence magique sur les populations. Au Mexique, ses amis disent de lui qu’il est l’ange exterminateur, l’ange de consolation, le demi-dieu de la guerre, et, pour faire son portrait, Homère l’eût comparé à Mars… » La question ne s’éclaircissait pas dans cette fumée. Encore une fois, que voulait le général Prim ?

Ce qui devenait clair bientôt, c’est que cette situation, créée par la convention de la Soledad, en paraissant conduire à une négociation et à la paix, cachait assez d’élémens incohérens pour être toujours à la merci de quelque incident imprévu, pour aboutir à quelque déception nouvelle plus irrémédiable que toutes les autres. Et d’abord c’était le gouvernement même de Mexico, qui, au sein d’un armistice, semblait redoubler d’hostilité et préparer une rupture en