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la continuation de l’ancienne conduite de Juarez, de ses anciens attentats. Vous avez accepté d’ouvrir de nouvelles négociations diplomatiques, et la continuation de ces outrages suffit pour les rompre : soit, je suis disposé à tout. Depuis que nous sommes ici, je vous ai demandé de nous réunir pour imposer à Juarez une amnistie vraie et sincère. Si nous désirons voir la volonté du peuple mexicain légalement manifestée, demandons à Juarez qu’il n’y mette point d’obstacle. Réclamons de lui qu’il retire les édits de mort et qu’il laisse s’exprimer librement l’opinion de ses amis et de ses adversaires, et alors si le peuple mexicain, à l’abri des menaces, libre de cette oppression et de ces perpétuelles sentences de mort, vote la république sous Juarez, soit : il est dans son droit ; mais imposons ou au moins demandons à Juarez une amnistie complète. »


On ne pouvait répondre par un plus noble langage. Cependant, lorsque l’amiral français parlait ainsi, un changement soudain s’était opéré dans l’esprit du général Prim, qui écrivait le lendemain même 23 mars : « Dès aujourd’hui, je commence à faire mes préparatifs pour rembarquer mes troupes aussitôt que nous aurons tenu la dernière conférence. » Que s’était-il donc passé ? On a semblé attribuer ce changement d’opinion à une entrevue que le comte de Reus avait eue le 22 avec le ministre de la justice et le ministre des finances de M. Juarez. Ce qu’il y a de curieux, c’est que le cabinet de Madrid a publié lui-même une lettre que M. de Saligny, alors chargé de la protection des intérêts espagnols, écrivait de Mexico au général Serrano quatre mois auparavant, le 29 novembre 1861, et où il disait : « On continue à affirmer ici que le général Prim commandera en chef l’expédition espagnole, et on affirme aussi que le nouveau ministre des finances, M. Gonzalès Echeverria, oncle de la comtesse de Reus, n’aura besoin que d’une demi-heure de conversation pour régler la question espagnole. » La vérité est qu’en ce moment, dans l’esprit du général Prim, les vexations du gouvernement de M. Juarez s’éclipsaient devant l’autre question dont je parlais, celle des émigrés. Le général Almonte était arrivé au commencement du mois ; il s’était avancé jusqu’à Cordova sous la protection d’un bataillon français, lorsque le gouvernement de Mexico demandait qu’on le lui livrât comme traître, et qu’on cessât de le couvrir de la protection des alliés. Sir Charles Wike et le général Prim communiquaient à l’amiral Jurien de La Gravière cette demande, qu’ils considéraient comme raisonnable et juste. On conçoit que l’amiral ne pût penser ainsi ; c’était sans son aveu, il le disait lui-même, que les émigrés s’étaient avancés dans l’intérieur, et il eût désiré qu’ils eussent attendu l’amnistie qu’il ne cessait de réclamer ; mais dès que le général Almonte était sous la protection du drapeau français, pouvait-il le livrer à ceux qui venaient de fusiller le général Robles, ou à la fièvre jaune en le renvoyant à la Vera-Cruz ?