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comment la pragmatique fut abolie le 27 novembre de la même année. Nos historiens ont raconté cette comédie si dévotement jouée par Louis XI, comédie dans laquelle il voulait jouer à la fois l’église gallicane et l’église romaine, les parlemens et le saint-siège ; mais il fut joué lui-même par le pape. Ce qu’on ne savait pas jusqu’ici et ce qui est mis en pleine lumière par les révélations de l’histoire de Bohême, c’est l’usage que Pie II a fait de la soumission de Louis XI pour provoquer la soumission du roi George. « L’abolition de la pragmatique fut une bonne scène, dit M. Michelet. Le roi, en parlement, devant le comte de Charolais et les grands du royaume, déclara que cette horrible pragmatique, cette guerre au saint-siège, pesait trop à sa conscience, qu’il ne voulait plus seulement en entendre le nom. Il exhiba ensuite la bulle d’abolition, la lut dévotement, l’admira, la baisa, et dit qu’à tout jamais il la garderait dans une boîte d’or. Il avait préparé cette farce dévote par une autre, impie et tragique, où le mauvais cœur n’avait que trop paru. Il crut ou parut croire que son père était damné pour la pragmatique : il pleura sur cette pauvre âme. Le mort, à peine refroidi, eut à Saint-Denis l’outrage public d’une absolution pontificale ; il fut, qu’il le voulût ou non, absous sur sa tombe par le légat : acte grave, qui désignait au simple peuple comme damnés d’avance tous ceux qui avaient été pour quelque chose dans la pragmatique. Or c’étaient à peu près tous les grands et prélats du royaume, c’étaient tous les bénéficiers nommés sous ce régime, c’étaient toutes les âmes qui depuis vingt ans auraient reçu la nourriture spirituelle d’un clergé entaché de schisme. Il était difficile de produire une plus générale agitation. Le parlement réclamait. Paris était ému… » Pendant que cette émotion, gagnant de proche en proche, se répandait par toute la France, Louis XI, et c’est là l’épisode que nos historiens ne mentionnent pas, envoie à Pie II une ambassade chargée de renoncer solennellement à l’héritage du concile de Bâle. Or sait-on qui elle rencontra au Vatican, cette ambassade du roi de France ? Les ambassadeurs du roi George, qui venaient au contraire maintenir énergiquement les compactats de la grande assemblée et le droit de la Bohême.

On a vu que le roi George, une fois son serment prêté aux légats de Calixte III, avait évité des rapports trop directs avec le saint-siège. Il fut plus circonspect encore après l’exaltation de Pie II, tout en se préparant à une lutte qui pouvait éclater au premier jour. Il avait, comme les autres princes chrétiens, envoyé au nouveau pape son serment d’obédience ; Pie II lui fit savoir que la situation particulière de la Bohême exigeait une démarche exceptionnelle, que l’hommage du souverain ne suffisait pas, qu’il fallait un engagement au nom de la nation tout entière. Il finit par demander une