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tout ? Suis-je, comme tout à l’heure, dans une ignorance absolue touchant la cause de ce phénomène ? Évidemment non. La cause ici, c’est ma volonté, et ma volonté, c’est moi-même. Je sais que j’ai le pouvoir de remuer certains muscles et d’agir ainsi sur les corps étrangers ; je veux user de ce pouvoir, j’en use en effet. J’en use dans la mesure jugée par moi convenable. J’augmente ou je diminue l’effort de mon bras ; je le proportionne à la résistance. Je fais tout cela, voulant le faire, sachant que je le fais. La cause du mouvement, l’énergie de cette cause, l’effet de cette énergie, tout cela m’est connu. Je ne dis pas qu’ici je sache tout, je ne dis pas que j’aie du mouvement volontaire une connaissance adéquate. J’ignore en effet comment ma volonté agit sur mes muscles ; je ne sais pas si elle s’applique directement à telle ou telle partie du système nerveux, Il y a, ici comme en tout, la part de l’inconnu, peut-être celle de l’impénétrable ; mais que ce soit ma volonté qui, par un libre effort, cause le mouvement de mon bras, c’est là ce que je sais d’une science certaine et immédiate.

Je considère un autre fait psychologique, mais cette fois un fait purement subjectif ; le contraste y paraîtra mieux. J’éprouve un sentiment violent d’antipathie ou de jalousie. En même temps que je l’éprouve, j’en reconnais l’injustice ; je me blâme de l’éprouver. Je fais effort pour détourner ce sentiment ou pour l’affaiblir ; j’y réussis plus ou moins, mais je lutte avec vigueur, et, sentant que j’ai quelque prise sur l’ennemi, je m’encourage à le combattre de front ou à le tourner à l’aide de cette stratégie vertueusement subtile et ingénieuse, bien connue des âmes accoutumées à se combattre et à se vaincre elles-mêmes. Voilà un fait que nul observateur du cœur humain ne contestera. Ici encore il y a autre chose qu’un simple résultat ; il y a la connaissance d’une cause, il y a la connaissance de l’action de cette cause et des effets de cette action. Le mouvement d’antipathie est un premier acte, un premier état de la personne humaine, du moi ; l’action de la raison sur ce sentiment en est un second ; l’apaisement qui en résulte est le troisième. Tout est donné par l’observation ; tout est immédiatement connu. C’est après avoir analysé nombre de faits analogues que Jouffroy parvint enfin, à cette formule du fait interne ou psychologique : tout phénomène qui se produit dans l’homme et qui est donné par la conscience comme un acte du moi est un phénomène psychologique ; tout le reste appartient à la physiologie.

On ne peut trop admirer cette analyse : elle est d’une exactitude et d’une profondeur que nul philosophe n’avait encore atteintes. Je ne prétends pas en faire honneur au seul Jouffroy. C’est Maine de Biran qui lui a frayé la route, je le sais, et si je l’ignorais, M. Ernest Naville me le rappellerait au besoin, lui qui a récemment publié les