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l’âme pour guérir le corps, car l’âme est le premier des médecins, et tout l’art de la médecine consiste à épier les démarches de l’âme et à la seconder dans son ministère réparateur[1].

Toute cette théorie, où se mêle à des vues profondes une forte part d’hypothèses chimériques, toute cette théorie appartient en propre à Stahl. Est-ce là la doctrine que M. Tissot, M. Charles et leurs partisans veulent réhabiliter ? Non, pas tout à fait ; il faut rendre justice à leur modération et à leur prudence. Ils reconnaissent que Stahl a exagéré les choses. Ce n’est pas eux qui soutiendraient que si le lait d’une femme grosse se porte vers les mamelles, c’est par l’effet d’une sage prévoyance de l’âme et d’un ordre formel donné à son corps. Quelle est donc leur prétention ? C’est d’attribuer à l’âme tout à la fois les fonctions vitales et les fonctions intellectuelles, mais à un titre différent. L’âme, suivant eux, a deux sortes de fonctions : les unes dont elle a conscience et qu’elle rapporte au moi, par exemple la faculté de penser, la faculté de remuer certains membres ; elle en a d’autres dont elle n’a pas conscience, ce sont là les fonctions vitales. Une seule âme tour à tour consciente et inconsciente, gouvernant le corps sans le savoir ni le vouloir et se gouvernant elle-même avec intelligence et volonté, tel est le système des nouveaux animistes, qui » viennent de trouver dans M. Francisque Bouillier, bien connu par ses beaux travaux sur la philosophie cartésienne, l’avocat le plus habile, l’interprète le plus savant et le plus ingénieux[2].

Pour dire en deux mots toute notre pensée, le livre de M. Bouillier nous paraît à la fois très fort et très faible. Il est très fort quand il réclame, au nom de l’observation, contre certaines exagérations, réelles ou possibles, du spiritualisme de Maine de Biran et de Jouffroy ; mais il devient très faible, à notre avis, lorsqu’il passe de la négation à l’affirmation, et nous présente comme un résultat scientifiquement démontré la réduction des fonctions vitales et des fonctions intellectuelles à l’unité d’un seul et même principe.

M. Bouillier signale dans la doctrine de Biran et de Jouffroy un premier point faible : c’est qu’ils réduisent l’âme humaine à la personne morale, au moi. Suivant ces philosophes en effet, le caractère essentiel et distinctif d’un fait interne, d’un fait psychologique, c’est de tomber sous la conscience, d’où il suit que tout ce qui est hors de la conscience est étranger à l’âme. Or c’est là une doctrine insoutenable. N’y a-t-il pas un nombre immense de faits qui sont certainement des actes de l’âme, et qui cependant échappent à la conscience ? A peine un enfant vient-il de naître qu’il cherche la mamelle de sa mère et accomplit toute sorte de mouvemens pour la saisir

  1. Stahl et l’Animisme, par M. Albert Lemoine, p. 86 et suiv.
  2. Du Principe vital et de l’Ame pensante, par M. Bouillier, correspondant de l’Institut, 1 vol. in-8o, chez Baillière.