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produit et dont il a conscience. Cette conscience est donc bien obscure, s’il a fallu tant de siècles pour la porter au grand jour. J’admire la prodigieuse lucidité de nos animistes, et cela donnerait envie d’en profiter pour jeter quelque lumière sur une foule de mystères physiologiques. On cherche encore aujourd’hui à quoi sert la rate. Je demanderai aux animistes de vouloir bien nous renseigner à cet égard, car si l’âme agit sur la rate en ayant conscience de son action, il est difficile qu’elle ne sache pas quelque chose sur le résultat de cette action.

Les nouveaux animistes m’accuseront de leur imputer les exagérations de Claude Perrault et de Stahl. Je conviens qu’il y en a de fort singulières, et lorsque j’apprends de M. Bouillier, dans un des chapitres les plus neufs et les plus intéressans de son livre, que, selon Claude Perrault[1], précurseur de Stahl, dès la naissance d’un enfant et même au sein de sa mère, son âme a résolu de faire circuler le sang dans l’intérêt du corps, et qu’elle a pratiqué cette sage résolution avec une assiduité si louable et si constante qu’elle s’en est fait une habitude, une de ces habitudes auxquelles on obéit sans s’en rendre compte, j’avoue que j’ai de la peine à prendre cette théorie au sérieux. Je crois entendre Voltaire dire à l’âme de Claude Perrault : C’était bien la peine, ma pauvre âme, d’être si savante au ventre de ta mère, pour être obligée d’aller ensuite à l’école et d’y apprendre péniblement ce que tu savais si bien sans avoir rien appris !

M. Bouillier, qui est homme de sens et d’esprit, ne se défend pas de rire aussi quelque peu[2] aux dépens de Claude Perrault, bien qu’ancêtre de l’animisme et ancêtre par lui presque découvert ; mais à parler sérieusement, et en laissant de côté les écarts d’un esprit excentrique, sur le fond de la théorie, j’oserai dire que le nouvel animisme dépasse l’ancien en témérité. Claude Perrault a la bonne foi de convenir que, par une raison ou par une autre, l’âme ne s’aperçoit plus après quelque temps qu’elle fait digérer le corps. Stahl, qui semble au contraire concevoir la digestion comme une affaire de raison et de volonté, corrige cette étrange assertion par une distinction ingénieuse entre deux formes de la raison. Il y a, dit-il, le λόγος et le λογισμός. Le λογισμός, c’est la raison réfléchie, ayant conscience et mémoire ; le λόγος, c’est une raison antérieure et supérieure, une raison qui agit d’une manière simple, sans se redoubler dans la conscience, et c’est pourquoi ses opérations ne peuvent être représentées à l’imagination ni rappelées par la mémoire. C’est le λόγος qui

  1. Il s’agit de Perrault l’architecte, l’auteur de la colonnade du Louvre, qui a aussi laissé sa trace dans l’histoire des sciences physiologiques et médicales.
  2. Du Principe vital, etc., ch. XIV.