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à d’autres le soin de le décider. Du reste, le mérite de M. Smith est bien moins dans ses axiomes que dans les développemens dont il les appuie. Avec une grande richesse de fines observations et d’exemples parlans que le poète chez, lui fournit à l’observateur, il nous fait suivre à travers les faits l’entrelacement de la joie et de la douleur, les utilités et les bienfaits secrets de la maladie, les racines par lesquelles le bien plonge dans le mal et y puise sa nourriture. Il nous montre comment la souffrance est l’aiguillon de notre activité, la mère de notre développement, comment elle est le travail pénible d’enfantement d’où sortent toutes les énergies et les facultés qui sont notre gloire, et qui, une fois nées, trouvent en elles-mêmes d’incessantes jouissances, car ce qu’il nous faut, c’est de la vie, toujours plus de vie, et une vie plus pleine. Il nous, montre comment la douleur encore est la principale source de la sympathie qui nous unit les uns aux autres, qui constitue la base de la société humaine, le lien de la famille, le principe de nos plus douces affections.


« Sans doute nous prenons part aux plaisirs non moins qu’aux peines de nos semblables ; mais le bonheur, même que nous partageons implique toujours plus ou moins la joie d’échapper à quelque danger, et, à parler en général, cette forme de sentiment n’appartient qu’à une phase avancée d’éducation et de développement. Aux premiers âges des sociétés, la sympathie qui répond à la douleur, aux blessures, à la mort, exerce une bien plus grande influence ; l’élan qui, en face de l’individu attaqué ou abattu, enrôle de son côté les passions de vingt hommes, voilà le grossier commencement de la justice criminelle et de la réprobation morale.

« La mort même, le plus inévitable des maux, entre pour la plus large part dans tout ce qui donne du prix à la vie. C’est le printemps ; les mêmes ormes dont j’écoutais tomber les feuilles séchées il y a quelques mois étoilent maintenant le ciel bleu de leurs bourgeons dorés… Les saules jettent à travers leurs branches une chaîne de pâle verdure, chaîne si légère, qu’elle ne parvient pas à arrêter la plus jeune brise qui joue dans cette brillante matinée de mai. Moi pourtant, elle m’arrête, elle retient mes pas et mon regard. Je resterais volontiers prisonnier sans mes deux peupliers, qui attendent ma visite. Ils s’éveillent de leur rêve d’hiver, et je remarque qu’ils commencent l’été avec le même éclat, la même teinte de flamme qu’ils avaient prise pour mourir en automne. Et avec la feuille vient l’oiseau, qui se hâte, au milieu des chansons d’amour, de construire son nid. D’abord ce sont des notes courtes et faibles qui tombent de branche en branche : elles me rappellent ces baisers que les enfans se soufflent l’un à l’autre ; puis vient le tapage de la joie et des gazouillemens. Est-il besoin de vous rappeler que ce renouvellement perpétuel du printemps, de la jeunesse, de l’amour, de l’enfance et de la maternité a pour condition nécessaire la sombre mort ? L’inévitable est aussi l’indispensable. Comme notre vie serait amoindrie, si nous vivions sans fin ! Comme la condition de l’homme serait stagnante ! »


Sur ces bienfaits de la souffrance, j’aime surtout cette remarque