Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les vastes constructions, a laissé le palais et les thermes qui portent son nom. Les deux palais sont en ruine, et c’est ici que la restitution d’un architecte habile, semblable à celle que Blouet a si heureusement accomplie pour les thermes de Dioctétien, serait bien nécessaire au voyageur qui veut comprendre pour admirer. Le savoir technique, que notre ignorance rêveuse est trop portée à dédaigner, fait succéder à des impressions vagues et bientôt monotones une représentation idéale qui, transportée sur les lieux, finit par prendre de la réalité et de la vie. Le travail d’un architecte comme Blouet ou Canina, vérifié, redressé, expliqué par la science d’un Niebuhr ou d’un Bunsen, puis coloré et animé avec une érudition non moins sûre par la vive imagination de M. Ampère, voilà ce que rien ne remplace quand on erre, curieux et incertain, au milieu de ces masses informes et muettes des palais de l’empire. L’ignorance, quoiqu’on en dise, n’est pas le fond de la poésie, et quand la réalité est belle, il vaudrait mieux la voir que la feindre. Rendons grâces à ceux qui la font renaître, au moins pour la pensée, quand, depuis longtemps écroulée, elle jonche le sol de ses débris.

Un édifice nous frappe par deux choses, ses masses et ses détails. Or, dans les ruines dont je parle, les détails ont des longtemps disparu. Les statues et même les bas-reliefs qu’on a pu sauver sont dans les musées. Les colonnes ont été enlevées par milliers et transportées dans les églises. Les beaux paremens de marbre, ou de pierre de choix ont été souvent arrachés. Les masses, quand il en reste, quand on n’a pas achevé de les détruire comme des amas de maçonnerie d’où l’on retire la brique et la chaux, subsistent par blocs divisés et confus ; elles ont perdu avec leur parure leurs angles, leurs rondeurs, leurs arêtes, et, défigurées, ébréchées, capricieusement entamées par le temps, elles ne sont plus que les ossemens dépareillés d’un grand corps de forme inconnue. Sans une étude pleine d’obscurité et de doute, on ne s’en rend pas raison, et on regarde les ruines comme des fabriques dans un paysage. Ce sont des vues et non des monumens ; le théâtre de l’histoire se contemple comme une scène de la nature.

C’est ce qui rend désirable que des travaux étendus, dirigés par les lumières de la critique moderne, ouvrent de nouveau cette terre de débris amoncelés et mette partout à découvert ce sol romain dont ils ont changé les niveaux et les profils. Puisqu’on a négligé depuis quatorze ans de tirer parti, pour le travail d’exécution, déjà présence de nos officiers du génie et de nos soldats attendons quelque dédommagement des recherches que l’acquisition des anciens jardins Farnèse, c’est-à-dire d’une partie du mont Palatin, permettra d’entreprendre, surtout si elles sont conduites sous l’inspiration