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on, devenue un simple chef-lieu de préfecture ; ils attendent avec patience les améliorations morales et matérielles auxquelles ils ont droit, car ils ont compris, avec un instinct très juste, que dans les circonstances actuelles la question politique dominait absolument la question administrative, que l’Italie, sans capitale, sans frontière au nord-est, encore occupée en partie par ses adversaires, devait d’abord se compléter pour être vraiment une et qu’avant de demander au gouvernement les œuvres de progrès qu’il a pris l’engagement implicite d’accomplir en acceptant le plébiscite qui lui donnait le royaume des Deux-Siciles, il faut l’aider à constituer la patrie. Cette idée de patrie, qui, selon beaucoup d’hommes, est la plus haute idée qui puisse faire battre nos cœurs, est pour la plus grande partie des gens du peuple napolitain une idée absolument nouvelle. Les gouvernemens qui avaient à Naples précédé celui du roi Victor-Emmanuel avaient eu grand soin d’entretenir l’esprit de municipalisme et de fomenter par tous les moyens l’antagonisme qui existe généralement entre gens du nord et gens du midi ; ce système d’isolement et d’égoïsme avait été celui des princes italiens qui vivaient sous la tutelle de l’Autriche. C’est, sans contredit, en majeure partie aux effets dissolvans produits par cette politique que l’Autriche doit les succès qui terminèrent l’explosion de 1848 et 1849. Il n’y a pas cinq ans que je disais à quelqu’un : « Vous êtes Italien ? » et qu’il me répondit : « Non, je suis Napolitain ! » Il y avait donc les Napolitains, puis les Calabrais, qui ne voulaient pas être confondus avec les Napolitains, puis les Siciliens, qui ne voulaient être confondus ni avec les Napolitains ni avec les Calabrais : c’était dans les provinces mêmes des Deux-Siciles et dans le même royaume une sorte de tour de Babel et la confusion des patois. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi, et l’on vous répond : « Je suis un Italien de Naples, de Messine, de Brindisi ou de Maïda ; » l’italianisme est entré dans tous les cœurs et les fait battre à l’unisson. En 1860, après l’entrée de Garibaldi à Naples, où les popolani ne voyaient en lui qu’un nouveau et plus doux maître qui chassait l’ancien, bien des gens des quartiers populaires, après avoir crié vive l’Italie une ! nous disaient : « L’Italie, qu’est-ce que c’est ? une, qu’est-ce que cela signifie ? » Pendant les mois de mai et de juin qui viennent de s’écouler, j’ai causé avec bien des hommes du peuple, avec des mariniers, avec des paysans, avec ces bons paresseux qui sont humiliés maintenant d’être appelés lazzaroni ; tous savent parfaitement ce que c’est que l’unité de l’Italie, ils en parlent entre eux, ils regardent vers Rome, et disent de Venise : « C’est à l’autre bout, comme qui dirait le Reggio de l’Italie du nord. » Pour ceux qui ont pratiqué un peu le peuple de Naples et qui se rappellent l’inconcevable indifférence qu’il avait pour toutes choses, ce progrès est très frappant. On peut quelquefois, à Naples,