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funestes, son génie encore catholique, mais anti-romain, cinquante années avant Luther.

On voit ce que signifiait l’arrivée d’un tel homme à la cour du roi George l’esprit germanique, si longtemps hostile au pays de Jean Huss, venait généreusement à son secours. Le premier acte de Grégoire de Heimbourg est un manifeste adressé à tous les princes de la chrétienté pour la justification du roi de Bohême. Amis et ennemis, au XVe siècle, y virent un modèle d’éloquence et de raison. Le grand publiciste, faisant parler son maître, exposait ainsi les faits et les droits : « Depuis le commencement de notre règne, l’agriculture et le commerce, si longtemps étouffés, ont repris leur essor. Les forteresses d’où sortait la dévastation sont renversées ; les bandes qui désolaient le pays, devenues une armée régulière, sont employées aujourd’hui à le défendre. Les tribunaux sont rouverts, l’état a recouvré sa puissance pour garantir l’ordre et la paix. Cependant au sein de la paix la plus florissante des germes funestes peuvent se glisser : il y a dans notre royaume des Catilina qui, sous le voile d’un zèle ardent pour l’unité de l’église, sous le masque de leur dévouement au saint-siège, cachent des desseins pervers. Le pape, prêtant une oreille trop facile à la calomnie, nous a intenté un procès indigne ; il nous refuse notre titre royal et nous appelle de notre nom de famille, nous qui avons été sacré au pied des autels, nous qui avons été reconnu roi par l’empereur, par les princes, et même par les prédécesseurs du pontife qui occupe aujourd’hui le siège de Rome. Il est manifeste que le saint-père, en se servant de ces formes captieuses, a voulu nous tendre un double piège. Obéir à une citation où nous sommes traité en simple particulier, c’eût été une abdication volontaire, et comment nous justifier d’être retombé dans l’hérésie sans avouer implicitement que nous avions mérité une première fois d’être appelé hérétique ? Mais la plus révoltante des injustices contre lesquelles nous protestons, la voici : le pape, avant l’expiration du terme qu’il a fixé lui-même, exécute un jugement qui n’existe pas et délie nos sujets de l’obéissance qu’ils nous doivent ! » C’est ainsi que le roi, des les premiers mots, reprenait sa couronne et déchirait la citation du pape. Il continue royalement, avec autant de noblesse que de force. Il prouve que le saint-siège a violé lui-même le droit qu’il s’arroge, qu’il a usurpé sur son propre tribunal, et que, par ce seul fait, il a détruit à jamais sa juridiction sur la Bohême. Puisque le pape exécute la condamnation avant que le procès soit commencé, quelle justice peuvent espérer la Bohême et son roi ? Quand les juges sont liés d’avance, il n’y a plus de tribunal. D’ailleurs la juridiction de Rome fût-elle possible, est-ce donc à Rome, au milieu de ses ennemis, au milieu d’accusateurs prévenus