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Mathias Corvin apprit que le prince Victorin avait échappé, il eut un véritable accès de fureur contre ses soldats et, dédaignant les derniers défenseurs de la place, il ne tarda pas à lever le siège.

Cette bataille de Trébisch, qui, sans l’activité du roi George, aurait pu être bien plus désastreuse encore pour les Tchèques, fut saluée par les ennemis de la Bohême comme un présage de l’infaillible triomphe des Magyars. À Rome, dès la levée d’armes de Mathias Corvin, on avait poussé des cris de joie. Plus on avait craint de ne pas trouver un bras pour exécuter la sentence pontificale, plus on exaltait le soldat du saint-siège avec une sorte de délire. C’était Daniel dans la fosse aux lions, c’était le missionnaire de Dieu, c’était l’archange qui allait écraser la tête de Satan sous son brodequin de fer, et balayer comme la poussière le royaume des pécheurs. « Nous demanderons au Dieu des batailles d’assister le pieux souverain, écrivait le cardinal Jacques Piccolomini au cardinal Carvajal, nous le prierons de lancer sur les Bohémiens une pluie de feu et de soufre pendant que le roi Mathias les percera de son glaive. » On l’exalta si bien, on le pressa si fort de marcher en avant, que l’empereur en devint jaloux. Le Hongrois, déjà si redoutable à l’Autriche, allait donc conquérir un nouveau royaume ! Frédéric III, pour écarter ce péril, s’avisa de convoiter la Bohême pour son fils Maximilien, et résolut de s’en ouvrir à Paul II. L’idée était trop singulière à cette date pour qu’il la confiât à un ambassadeur : il fit lui-même un pèlerinage auprès du saint-père afin de traiter l’affaire en personne. Essayer de soustraire à Mathias Corvin la proie que lui avait désignée le Vatican, vouloir lui dérober la récompense promise au triomphe de ses armes, et cela au moment où Mathias maniait si rudement ce glaive de l’église que Frédéric avait repoussé, c’était là une prétention si extraordinaire, que l’empereur ne pouvait arriver à ses fins sans mettre l’empire aux pieds du saint-siège. C’est précisément de qu’on vit à Rome au mois de décembre 1468. Jamais pape n’avait été si arrogant en face de l’autorité impériale, jamais empereur n’avait été si humble sous la main de la théocratie. Remarquez. en effet qu’il n’y a pas ici de luttes à soutenir, de vengeances à exercer, comme au temps de Grégoire VII ; c’est en pleine paix, sans motifs de colère, comme la chose la plus naturelle du monde, qu’on voit l’empereur d’Allemagne obligé de rendre publiquement au pontife de Rome un hommage de vassalité et soumis aux plus humiliantes prétentions de l’orgueilleux Italien. Ce spectacle est le dernier du même genre que le moyen âge ait donné à l’Europe, et les contemporains en furent si frappés, qu’ils en consignèrent les moindres détails. Quand Frédéric III fut admis auprès de Paul II, il dut se jeter deux fois à ses genoux, et c’est à la troisième seulement qu’il put lui baiser le pied. Le trône de Frédéric III