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l’histoire politique de son siècle. C’est surtout cette partie de sa gloire que M. Palacky s’attache à mettre en lumière. L’éminent historien lui attribue l’honneur d’avoir introduit dans le monde le principe fondamental de la société moderne, l’affranchissement de l’état vis-à-vis de l’église, c’est-à-dire, en d’autres termes, d’avoir porté le premier coup à ce pouvoir temporel inconnu et contraire à l’Évangile. « Si dans les bouleversemens du XVIe siècle, ajoute-t-il, la cour romaine ne s’est pas laissé entraîner à combattre ses adversaires par les armes théocratiques, c’est qu’elle avait bien senti dans sa lutte avec George l’impuissance de ces armes et la marche irrésistible des idées. » M. Palacky, dans son patriotisme, oublie que bien d’autres champions avant le roi de Bohême avaient soutenu ce principe, il oublie les hommes qui, du sein même du moyen âge, ont protesté contre cette confusion des deux pouvoirs, il oublie Dante condamnant Boniface VIII, il oublie notre saint Louis résistant aux empiétemens du saint-siège. Et que fait-il de cette suite de rois qui ont préparé depuis saint Louis la transformation du monde moderne ? Il suffisait de dire que sur cette liste glorieuse une place immortelle était réservée à George de Podiebrad. Quant à l’influence que le roi de Bohême aurait pu exercer sur les affaires orientales de l’Europe, les conjectures de l’historien sont aussi légitimes que douloureuses. On disait au XVe siècle, en maintes contrées de l’empire, que le roi George, si on lui eût laissé sa liberté d’action, aurait replanté la croix sur Sainte-Sophie de Constantinople. M. Palacky rappelle ces témoignages avec un juste orgueil, et bien qu’il n’ose les ranger parmi les titres incontestables de son héros, il affirme du moins que la guerre impie faite aux chrétiens de Bohême a favorisé l’établissement de la puissance ottomane sur le sol de l’Europe. Qu’on se figure George de Podiebrad et Mathias Corvin, au lieu de s’entre-déchirer, unissant leurs armes contre les hordes de l’Asie à l’époque où ces barbares, campés encore en terre conquise, étaient organisés pour l’attaque bien mieux que pour la défense. Ah ! la Providence a des justices sévères. Quels sont les hommes qui ont le plus ardemment travaillé à l’expulsion des Ottomans ? Deux surtout, Æneas Sylvius et Jean Capistran. Tous les deux ont été sans pitié pour les dissidens de Bohême, et ce sont précisément ces fureurs qui, précipitant les Hongrois sur les Tchèques, c’est-à-dire détruisant l’armée chrétienne en face de l’ennemi, ont fait le triomphe des soldats de Mahomet. Mathias Corvin, l’exécuteur des vengeances de Paul II, recevra aussi son châtiment, sinon dans sa personne, au moins dans son œuvre, dans son peuple, et pour être différée la punition n’en sera que plus terrible. De mauvais jours viendront pour la Hongrie ; attaquée par l’empereur, elle sera délaissée par le pape ; où sera-t-elle alors, cette alliée généreuse que