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Ænnchen, sa sœur adoptive, la fille du digne maître Gottlieb, le fervent disciple de Bach. Il la retrouve veuve avec un enfant, abandonnée, souffrante, Il sent alors que sa vie a un but. Le travail sérieux va lui permettre de soutenir une pauvre famille, et ce travail résolument abordé ne trompe pas ses efforts. Ænnchen meurt épuisée, mais elle a pu sourire avant d’expirer aux premiers succès de Daniel. Pourquoi donc affaiblir l’effet de ces scènes touchantes par les singuliers détails placés dans les dernières pages ? Pourquoi conduire Daniel à Paris, où l’on exécute une de ses symphonies qui excite l’admiration de M. Hector Berlioz en personne et le décide à placer c dans un de ses feuilletons Daniel au nombre des trois ou quatre compositeurs distingués de notre temps ? » En dépit des connaisseurs dont ce livre a si vite gagné les suffrages, ce sont là de gros solécismes en matière de goût.

On a pu le voir, il y a dans ce roman deux parts à faire. Il y a tout un ensemble de portraits et de scènes satiriques où se rencontrent quelques touches vraies, compromises par une exagération systématique et par une sorte de sourire prétentieux qui distingue toute une petite école très convaincue de se rattacher par Beyle à Voltaire. Il y a aussi une partie touchante, la plus courte malheureusement, celle où l’auteur décrit la régénération de l’artiste sous les yeux d’ Ænnchen mourante. Celle-là ne rachète certes pas les défauts du livre, mais elle indique une sensibilité naïve, qui perce même à travers les prétentions de l’auteur à une grande impassibilité sceptique, et qui pourrait l’inspirer heureusement, surtout si elle s’alliait à ce respect de la forme, à cet instinctif et implacable dédain du faux goût, qui seuls font le véritable écrivain. Que M. Camille Selden ne s’abuse pas. On lui a rappelé le conseil qu’il adresse lui-même à son Daniel : « Si vous voulez être un artiste, ne soyez point un raffiné. » Nous lui répéterons volontiers le même conseil, mais en ajoutant que l’école de prétendus raffinés où le placent quelques parties de son livre l’éloignerait tôt ou tard du public sérieux et de ce vrai courant de l’invention romanesque où s’obtiennent et se consolident les succès légitimes.


V. DE MARS.


Les Princes du XVIe siècle d’après les relations vénitiennes[1].

M. Ampère a bien souvent exprimé dans la Revue, pour l’avoir éprouvé par lui-même, ce prestige particulier que Rome exerce sur ses hôtes, et il a cité tel de ses amis qui, une fois habitué au séjour de cette ville incomparable, après avoir fait et refait sa malle en vue du départ, est demeuré de longues années sous le charme, sans pouvoir le rompre. C’est ce que le dernier pape, assure-t-on, savait rendre ingénieusement, disant « adieu » à quiconque n’était resté que pendant quelques jours, disant « au revoir, » quelles que fussent leurs prochaines résolutions, à ceux qu’un certain séjour avait initiés à la majesté de la ville éternelle. On peut douter que Naples, après sa première séduction toute païenne, soit capable d’exercer

  1. La Diplomatie vénitienne. Les Princes de l’Europe au seizième siècle, par M. Armand Baschet. Plon, 1862.