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ques-uns de nos ports de commerce demandaient qu’on le contînt dans son développement par la concurrence du sucre étranger ; nos colonies au contraire réclamaient plus de protection. Avant de rien décider à propos de ce conflit d’intérêts, le gouvernement eut recours à une enquête qui fut dirigée par M. de Saint-Cricq. En 1834, lorsque déjà quelques esprits éclairés posaient comme une nécessité le retrait graduel du système des prohibitions et des droits prohibitifs qui absorbait l’activité commerciale du pays au bénéfice de quelques industries privilégiées, une enquête fut également ordonnée et exécutée sur la plus large échelle ; mais toutes les questions qui s’y produisirent étaient intactes, et aucun fait accompli ne pesait sur l’opinion de ceux qui étaient interrogés, pas plus que sur ceux qui étaient chargés de recueillir les résultats de l’enquête. Le gouvernement anglais a procédé avec le même scrupule, lorsqu’en 1847 il eut la pensée de rapporter l’acte de navigation de 1651. Avant de s’engager dans la voie de la liberté absolue en matière de navigation, avant de présenter le bill par lequel il devait abandonner la politique séculaire de l’Angleterre, il provoqua une large manifestation des intérêts que ce changement pouvait compromettre : il écouta les constructeurs, les armateurs, les capitaines de navires, les commerçans, les manufacturiers, tous ceux qui, de près ou de loin, pouvaient ressentir les effets du système nouveau. C’est cette marche circonspecte et loyale que notre gouvernement a suivie pour l’abrogation de l’échelle mobile. La législation avait été suspendue sous l’influence de circonstances dont personne ne niait l’impérieuse nécessité ; mais cette suspension, toute temporaire, permettait d’examiner en toute liberté si le système devait être radicalement changé ou seulement modifié.

On n’a dévié de cette ligne de conduite qu’à l’occasion des réformes commerciales opérées en 1860. Par le traité de commerce avec l’Angleterre, la France s’engageait à recevoir les produits similaires des manufactures anglaises moyennant des droits qui, dans aucun cas, ne pouvaient dépasser 30 pour 100. Ainsi, par cet acte, on posait le principe de la concurrence étrangère, on abrogeait les droits protecteurs et prohibitifs, sans avoir entendu les intérêts qui pouvaient en être plus ou moins affectés. Les industriels, les maîtres de forges, les commerçans, furent appelés, non pas à donner leur avis sur un fait souverainement accompli, celui de l’admission sur notre marché intérieur de l’industrie anglaise, mais seulement à s’expliquer sur le reste de protection qui serait maintenu, dans la limite fixée par le traité, aux différentes branches de notre industrie. Nous savons bien toutes les raisons qui ont été données pour justifier cette manière de procéder : elles ont été appréciées