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volonté nationale dans l’adhésion de certains corps constitués. — Non ! notre principe est celui du suffrage universel, pur, simple et direct. De quel droit alors sommes-nous à Rome ? Avons-nous quelques doutes ? S’il en est ainsi, que ne consultons-nous les Romains sur le gouvernement de Pie IX, nous qui allons tout exprès au Mexique afin d’avoir sur place, comme l’a dit M. Billault, l’avis des Mexicains sur Juarez ! Mais, dit-on, il y a de plus ici l’intérêt religieux ; l’intérêt religieux exige que le pape soit matériellement souverain chez lui, afin qu’il y soit spirituellement indépendant. — Souverain chez lui ? De bonne foi, l’est-il au moment où nous parlons ? Il faut, pour le supposer, n’avoir pas mis le pied à Rome. Quatre ou cinq fois par an régulièrement, et maintenant un peu plus souvent, il y a dans la cité pontificale des essais de manifestation publique. Pour peu qu’on leur suppose quelque gravité, voici ce qui se passe : l’armée française prend les armes, occupe le Corso et toutes les places de la ville. Elle commence par en chasser la foule, puis, doucement, poliment, de quel air, il faut le voir, les troupes de sa sainteté, sa gendarmerie, sa police et ses zouaves. Soldats, officiers, généraux pontificaux sont engagés à vouloir bien rentrer dans leurs casernes, et de fait ils y rentrent : pas d’exception ; le ministre des armes se présenterait qu’on lui barrerait le passage. Il y a consigne de ne laisser passer que le pape, agenouillé alors devant Dieu pour le conjurer d’épargner la vie de son peuple, les cardinaux, qui se gardent bien de sortir de chez eux, et les ambassadeurs, pressés d’y rentrer afin d’écrire à leur gouvernement.

Même chose aux places frontières. Les troupes pontificales y tiennent garnison tant qu’il n’y a pas apparence de dangers. Sont-elles menacées, on les fait déguerpir malgré les réclamations de Mgr de Mérode, et des bataillons français les remplacent. Commander a une armée qui monte la garde sur les places publiques et à la porte des autorités, qui facilite les arrestations, qui accompagne les convois de prisonniers d’état, mais qui ne peut ni maintenir l’ordre dans la capitale, ni défendre l’état contre les ennemis du dehors,… voilà de quelle façon le pape est souverain chez lui ! Politiquement, la haute main y est laissée à dix mille missionnaires en pantalon garance, qui, malgré la discipline, dont ils ne s’écartent jamais, servent de propagateurs involontaires, mais singulièrement efficaces, aux idées les plus propres à miner le gouvernement qu’ils sont censés protéger.

— N’importe, répond-on, l’autorité spirituelle du pape reste entière devant ces dix mille soldats français. En Espagne, en Autriche, dans tous les pays catholiques, personne ne songe à s’inquiéter de l’influence que la présence des soldats français à Rome