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semble constitué pour vivre par une idée, sauf à payer au prix des plus tristes syncopes ses débauches d’activité.

Il y avait déjà tellement à compter avec ces dispositions nouvelles, malgré les formes indécises sous lesquelles elles se révélaient alors, qu’à la veille des dernières élections générales faites par la monarchie, le président du conseil avait jugé prudent de s’en porter l’organe, et qu’il se faisait fort d’accomplir par le seul parti conservateur les réformes et les progrès que d’autres opinions promettaient sans les donner[1]. Le corps électoral avait chaleureusement accueilli ces espérances, et l’opinion conservatrice en particulier les avait prises si fort au sérieux, que la plupart de ses nouveaux élus entrèrent à la chambre avec des engagemens sur toutes les questions controversées, et plus spécialement sur celle de la réforme parlementaire.

Prises en elles-mêmes, ces questions-là n’avaient assurément qu’une importance fort secondaire ; mais l’état de l’opinion leur en donnait une considérable, et laissait pressentir les périls que pouvait susciter une lutte engagée contre elle dans des circonstances malheureuses. Les idées n’ont en politique qu’une valeur relative, les événemens pouvant aussi bien surfaire celle-ci que la réduire. Or en 1847 l’importance de la réforme était surfaite dans la chambre comme dans la presse. La France départementale ne manifestait pas outre mesure qu’elle manquât beaucoup à sa liberté ; mais l’ardeur avec laquelle s’y rattachait la bourgeoisie parisienne était un signe du temps qu’il aurait fallu consulter et savoir comprendre. En écartant de la chambre élective la classe des fonctionnaires, aristocratie lettrée d’une société bourgeoise, était-on bien assuré de retrouver en indépendance ce qu’on perdrait en expérience et en lumières ? L’on pouvait en douter. Les fonctionnaires s’asseyant en nombre proportionnel presque égal sur tous les bancs de la chambre, la réforme parlementaire ne pouvait avoir sur la marche des affaires publiques l’action qui lui était attribuée par l’opposition de ce temps-là. L’expérience avait prouvé d’ailleurs depuis l’origine de nos assemblées délibérantes, et elle allait le prouver bientôt après plus péremptoirement encore, que l’indépendance du député gît moins dans les exclusions légales que dans l’air qu’il respire, dans la pensée publique

  1.  » Ce n’est pas là sans doute le seul progrès politique que nous ayons à faire ; nous en commençons, nous en accomplirons bien d’autres : nous allons aux plus essentiels, aux plus pressans ; mais, loin d’en repousser aucun, la politique conservatrice les désire, les accepte tous ; elle les examinera, elle les discutera avec le désir sincère de s’y associer. Elle veut seulement, et c’est son devoir, que ce soient des progrès véritables, sérieux, en harmonie avec les principes essentiels et les besoins généraux de la société. » — M. Guizot, discours prononcé au banquet de Lisieux (juillet 1846).