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prix aux vœux des réformistes même les plus modérés ; derrière la royauté se massait à Paris une armée de cinquante mille hommes commandée par nos premiers généraux, et dont le dévouement n’était pas plus problématique que le courage. Avec de pareilles ressources, il n’aurait pas été impossible de résister à l’Europe. Cependant, ces ressources-là se trouvèrent insuffisantes contre une population ouvrière affriandée par l’attente d’un grand spectacle, contre une bourgeoisie résolue à profiter d’une aussi bonne occasion de donner une leçon au gouvernement, contre le désespoir d’un prince soudainement frappé au cœur par l’abandon, inexplicable à ses yeux, de la force qui l’avait fait roi, et dont il se croyait l’expression vivante.

Le spectacle des trois journées de février n’est pas moins étrange que douloureux. Au début, le peuple est plus narquois que menaçant, et ses premiers coups sont des malices d’écoliers contrariés dans leurs plaisirs plutôt que des attaques inspirées par des passions implacables. Des bandes d’étudians et d’ouvriers crient à tue-tête et sans nul obstacle vive la réforme, et prennent leur rôle de plus en plus au sérieux en voyant les postes de la garde nationale les accueillir d’un sourire sympathique, tout prêts au besoin à leur présenter les armes. Il fait froid, ils brûlent des chaises ; ils ont les bras vigoureux, ils escaladent des guérites et des corps de garde, et comme il n’y a pas de bonne fête populaire sans barricades, ces audacieux étourdis en dressent quelques-unes pour se faire la main, et se mettent à les défendre contre des soldats peu pressés d’enlever de vive force ces fortifications ingénieuses, tant cette fantasia leur paraît inoffensive, tant elle est applaudie par ces citoyens armés qu’ils contemplent depuis juillet 1830 avec une déférence respectueuse.

Au second jour et au second acte, la scène change, et l’on sait par quelle fatalité. Des meurtres nombreux, amenés par l’inexpérience et le hasard, soulèvent au sein d’un peuple jusqu’alors moins agité que curieux ces mystérieuses colères qu’excitent et entretiennent les spectacles sanglans. Aux bandes d’adolescens vient se joindre toute une génération virile formée aux habitudes militaires, où l’on est ouvrier par nécessité, soldat par tempérament, population généreuse que la poudre grise comme l’alcool, dont la guerre est l’élément, et à laquelle la chaleur de son sang inspire à certaines heures néfastes une sorte de fureur sacrée. À l’entrain joyeux du premier jour succèdent des combinaisons où les habiletés de la stratégie s’associent aux inspirations d’un courage téméraire. Ce n’est plus la fronde, c’est la ligue, mais la ligue qui ne sait ni ce qu’elle croit, ni ce qu’elle souhaite : fanatisme doutant plus menaçant dans ses effets qu’il est moins défini dans ses causes, et que ni concessions ni noms propres ne sont assurés de parvenir à le désarmer.