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avait de son côté de plus dirimantes à diriger contre la république. Il ne soupçonna pas qu’entre celles-ci figurerait toujours au premier rang la volonté instinctive de ce pays de se rattacher à son type originel, volonté tellement manifeste qu’on ne put la violenter pendant quelques mois que par un mensonge.

La république était en désaccord si manifeste avec les aspirations du pays que ses partisans les moins équivoques hésitaient encore à prononcer son nom même après que la déchéance du souverain se fut trouvée corroborée par sa fuite. Lorsque MM. Barrot et Dupin vinrent, sous les clameurs de l’émeute, demander à une chambre qui ne s’appartenait plus à elle-même de consacrer le droit du comte de Paris, les orateurs anti-dynastiques ne combattirent la régence que par un appel au droit suprême de la nation, réservant à celle-ci le droit définitif de statuer sur le mode du gouvernement, et repoussant d’ailleurs comme odieuse la pensée de préjuger sa volonté et de s’en porter prématurément les interprètes[1].

Les membres du gouvernement provisoire proclamés au Palais-Bourbon ne reçurent donc d’autre mission que celle de préparer, en sauvegardant l’ordre public, les voies par lesquelles le peuple français serait appelé le plus promptement possible à fixer lui-même son sort. Ils ne portèrent à l’Hôtel de Ville aucun mandat impératif, et si le 24 février au soir la royauté de juillet était par terre, la république paraissait encore fort loin d’être debout. Dans cette absence de tout pouvoir, en face de cet avenir obscur et formidable, une anxiété sans exemple planait sur toutes les âmes. À voir cette ville prise d’assaut, ces vieux soldats désarmés par des enfans, à entendre ces clameurs lointaines mêlées aux bruits mourans de la fusillade et du tocsin, à parcourir ces rues dépavées où les sentinelles de la guerre civile poussaient dans l’ombre leur cri sinistre, il semblait que l’on touchât à la dernière heure de civilisation et à l’avènement d’une gigantesque barbarie. « La nuit qui tombait avec ses transes, a dit l’historien le moins suspect que nous puissions citer, les rumeurs qui circulaient dans les masses, les récits altérés ou exagérés par la peur, Neuilly en flammes, le Louvre saccagé, les Tuileries et le Palais-Royal allumés déjà par les torches des incendiaires, les troupes royales revenant avec du canon sur le peuple ; Paris théâtre demain d’un carnage nouveau, les barricades se renouvelant comme d’elles-mêmes, garnies de lampions pour éclairer de loin les agresseurs ; l’ignorance sur le sort de la patrie et de la société qui était entre les mains de quelques hommes désunis peut-

  1. MM. Ledru-Rollin, Marie, de Lamartine, de Genoude, de La Rochejaquelein (Moniteur, séance du 24 février 1848).