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comme un moyen de se relever à ses propres yeux en même temps qu’à ceux du monde. Bien des ombres obscurcissaient sans doute le fond du tableau, et la politique ne trouvait pas toujours son compte dans les hymnes entonnés par les nouveaux gouvernans en l’honneur de l’avenir. L’on pouvait à bon droit s’inquiéter par exemple de voir la libération des noirs précéder la fixation de l’indemnité due aux colons, et trembler pour les colonies où l’on conviait au scrutin tous les esclaves de la veille ; il y avait à s’étonner que l’inviolabilité de la vie humaine fût dogmatiquement professée dans les mêmes termes où elle aurait pu l’être au sein d’une société de quakers, lorsqu’on venait réclamer une augmentation de deux cent mille hommes pour l’effectif de l’armée ; il était enfin naturel de se demander s’il n’y avait pas une contradiction manifeste à poser la France devant l’Europe comme fermement résolue à éviter la guerre et comme décidée à seconder tous les peuples dans leurs tentatives d’affranchissement. Néanmoins, dans ces jours de délirante émotion, de telles difficultés n’arrêtaient guère, et la confiance publique oubliait tout en présence de cette répudiation solennelle des souvenirs sanglans d’une hideuse époque, répudiation par laquelle la république française poursuivait sa réhabilitation devant Dieu et devant les hommes.

Malheureusement des résolutions moins généreuses étaient prises sous l’impulsion d’un mobile plus impérieux, car trop souvent c’est en couvrant de son approbation les visées les plus anti-sociales que conservait son équilibre, entre les perturbateurs et les bons citoyens, ce gouvernement éphémère, quoique omnipotent, qui tenait la France sous sa main, tandis qu’il vivait lui-même sous le poignard de quelques bandits. Il n’avait pas suffi aux chefs de la démagogie de faire litière des droits souverains de la nation en imposant au gouvernement provisoire la proclamation immédiate et définitive de la république[1]. La même journée vit les meneurs des sociétés secrètes, les sectaires et les orateurs des clubs, transformés en chefs de la grande armée du prolétariat, ébranler à coups de crosse les portes de la salle du conseil pour obtenir du gouvernement, sous peine d’être jeté par les fenêtres, une déclaration reposant sur cette triple base : l’organisation du travail, la garantie du droit au travail, l’établissement d’un minimum assuré par l’état dans toutes les éventualités de maladie et de chômage[2]. Une généreuse

  1. « Monsieur le préfet, le gouvernement républicain est constitué. La nation va être appelée à lui donner sa sanction. Vous avez à prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour assurer au nouveau gouvernement le concours de la population. » — Deuxième circulaire de M. Ledru-Rollin, ministre de l’intérieur, 25 février 1848.
  2. Pétition au gouvernement provisoire portée par les sieurs Moreau, Marche et Blanchet, 25 février 1848. — M. Garnier-Pagès, t. VI, p. 55.