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l’histoire de si tristes souvenirs de son mépris pour les œuvres d’art. Il est vrai que, dans les cinq tableaux exposés, Musurus-Bey se montre bien plutôt le disciple estimable et assez habile des autres écoles européennes qu’un peintre national. Ses toiles n’apprennent rien de la vie des Turcs ; il y aurait eu pourtant un motif intéressant pour le pinceau dans les scènes d’intérieur voilées le plus souvent aux regards des étrangers par les usages du pays. Ne serait-on pas tenté d’interpréter le silence de l’artiste et de dire que la société turque est encore à elle-même un mystère ?

Il nous faut arriver à la Russie pour trouver les germes d’une école de peinture digne d’intérêt. Cette école, on le sait, est née d’hier ; elle est sortie, comme presque toute la civilisation moscovite, de la volonté d’un homme. Pierre le Grand voulut avoir des artistes dans son empire, comme il avait voulu avoir des marins. Malheureusement il est plus facile à un empereur de construire des vaisseaux que de décréter des hommes de talent. En dépit du fiat lux lancé par le tsar, et quoiqu’il ait pris la peine d’envoyer lui-même des jeunes gens faire leurs études de peinture en Italie et en Hollande, l’art se traîna longtemps en Russie à l’état d’enfance. En 1758, l’impératrice Elisabeth fonda une académie qui fut réformée et développée par Catherine II. C’était toujours la continuation du même système, l’art par l’autorité. Cette direction fut à peu près stérile ; on peut en juger par quelques spécimens qui figurent dans la galerie russe, et où l’on sent en quelque sorte l’étude conduite par des lisières. À la génération des peintres de cour et d’académie a pourtant succédé dans ces derniers temps une école plus indépendante, qui s’attache à la vie russe, à la nature, et qui s’inspire davantage aux sources nationales. C’est sur ce dernier ordre de tableaux que j’appellerai un instant l’attention.

Un des caractères extérieurs qui devaient tenter le pinceau des artistes russes était l’âpre beauté de leur austère climat. Il est à remarquer en effet que l’hiver, sœvus hiems, n’a été chargé d’épithètes malveillantes que par les peuples du midi, et si j’en juge par ce que j’ai vu à Marseille, cette saison de l’année, qui est d’ailleurs très courte, manque absolument d’attraits dans les pays chauds. Il n’en est plus du tout de même dans les contrées du nord ; il semble au contraire que la nature, en forçant les hommes à vivre dans un hiver prolongé, ait voulu racheter ses rigueurs par les traits énergiques et les grâces sévères répandus sur le paysage. M. Nicolas Svertchkof nous représente un de ces aspects à la fois sombres et intéressans de son pays dans une toile intitulée le Train des noces. Quatre traîneaux glissent à distance les uns des autres sur une route ondoyante qui se perd dans les neiges. Le premier de ces traîneaux, attelé de