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d’estimer chez nos adversaires la sincérité du caractère et l’inflexible droiture des convictions. Nous respectons donc le non possumus d’un pontife, lorsqu’à ses yeux les résolutions de la conduite sont tracées par l’idée qu’il se fait du devoir, car nous respectons à travers le jugement qui peut se tromper la conscience qui ne veut pas errer. À ce seul titre, quoique adversaires déterminés du pouvoir temporel, nous voudrions que l’on épargnât au prêtre-roi l’obsession d’offres qui ne sont pour lui que des tentations à combattre, et la fatigue de ces refus qu’il est si naturel d’attendre de sa part. La paix, la concorde, les transactions sont de fort belles choses assurément dans leur légitime domaine; mais il faut prendre garde qu’appliquées aux questions de principes et de conscience, elles ne sont guère que des pastiches du scepticisme. D’ailleurs, lors même que la question du pouvoir temporel ne serait pas placée si haut aux yeux de la cour de Rome, le moment où on lui soumettait un programme de concession a-t-il été bien choisi? Quand on allait demander au pape une transaction qui entraînait l’abandon d’une portion du domaine temporel, au lendemain du jour où le pape, entouré d’une manifestation imposante de l’épiscopat universel, venait d’affirmer, aux acclamations de l’église, la nécessité et le droit de la principauté pontificale, était-on bien fondé à croire à l’opportunité d’une telle démarche, et pouvait-on sérieusement en espérer le succès? Mais c’est pour d’autres motifs que la pensée d’obtenir de la papauté, par une transaction, l’abdication partielle ou totale du pouvoir temporel eût dû être depuis longtemps abandonnée.

Ce qui trompe ceux qui ont cru et qui croient encore à la possibilité d’une transaction, ce sont les fausses analogies du passé. On a vu souvent dans l’histoire les papes en lutte, en guerre même avec des états catholiques; on a vu ces conflits se terminer par des arrangemens quelconques, et l’on se figure qu’une conclusion semblable peut être appliquée aujourd’hui au différend qui divise la papauté temporelle et l’Italie. On oublie dans cette routine combien les époques et combien les questions sont changées. Dans le passé sur lequel on se fonde, n’avait point pénétré encore le principe absolu de l’état laïque, et c’est du triomphe final de ce principe qu’il s’agit dans la question romaine. Au temps des anciennes luttes des rois et des empereurs contre les papes, la séparation du principe laïque et du principe ecclésiastique au sein des sociétés européennes n’était nulle part accomplie : l’église et l’état étaient partout liés l’un à l’autre, se pénétraient mutuellement de tous côtés. On combattait alors pour la prépondérance de l’un des principes sur l’autre, non pour leur séparation et leur indépendance. Qui eût songé avant la révolution française à constituer l’état en dehors de l’église? Qui eût conçu l’état absolument distinct de l’église, l’église sans lien avec l’état? Dans cet ordre de faits ou d’idées, les luttes qui déplaçaient la prépondérance au profit de l’un des élémens, au détriment de l’autre, mais qui ne devaient point en opérer le divorce, se réglaient naturellement par des transactions, par des traités, par des