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Madagascar pour y fonder une grande colonie? C’est le vœu exprimé par Mme Pfeiffer, c’est la proposition franchement développée par M. F. Riaux, Cet écrivain n’est point découragé par les échecs qu’ont éprouvés de précédentes tentatives, et qu’il attribue à l’insuffisance des moyens employés contre les Hovas. Il demande que l’on entreprenne sérieusement la colonisation de Madagascar. Une telle œuvre suffirait, dit-il, à illustrer le plus glorieux règne, et compenserait la perte de notre ancien empire colonial. M. Riaux ne méconnaît point d’ailleurs les difficultés de l’entreprise, car il déclare que, pour y réussir, la France « devrait en faire pendant un siècle sa grande, sa principale affaire, le pivot et la base de sa politique. » Cette condition est assez rassurante pour les esprits moins convaincus et moins enthousiastes qui ne tiennent pas à voir la France occupée à la conquête de Madagascar. Nous avons autour de nous trop de grosses affaires engagées pour espérer que notre politique ait de si tôt le loisir et le goût de se consacrer tout entière à l’œuvre nouvelle qu’on lui propose. Sans compter les embarras de l’Italie, on pourrait même dire les embarras de toute l’Europe, nous avons en ce moment à compter avec la Chine, avec la Cochinchine, avec le Mexique; notre drapeau est déplié aux divers points de l’horizon, et il est bien certain que les apôtres les plus ardens de la civilisation doivent se trouver satisfaits des sacrifices d’argent et d’hommes que la France prodigue pour la propagation et le triomphe de leurs idées.

Cependant l’expérience nous enseigne qu’il faut se défier des opinions qui conseillent les expéditions lointaines. Ces opinions peuvent exercer sur les résolutions du gouvernement une influence dangereuse, et quand elles ne sont point contestées en temps opportun, elles fournissent à la politique d’aventure l’occasion et le prétexte de guerres nouvelles, de campagnes plus brillantes qu’utiles, que l’on commence à la légère et que l’on n’est plus maître d’interrompre, lorsqu’une fois l’honneur militaire est en jeu. N’est-ce point ainsi que nous avons débarqué à Tourane quelques milliers d’hommes dont une partie a été sacrifiée aux pieuses illusions des missionnaires catholiques? Ceux-ci déclaraient, très sincèrement sans doute, qu’il suffirait de la présence du drapeau français pour soulever tous les chrétiens de la Cochinchine et pour abaisser l’orgueil de la cour de Hué. Si Ton eût consulté les rares voyageurs qui avaient visité Tourane, on se serait probablement abstenu d’y établir à grands frais une base d’opérations qu’il a fallu bientôt abandonner pour se rabattre au sud vers Saigon. La pression de l’intérêt religieux a été décisive, et tout en souhaitant à notre nouvelle colonie de Cochinchine les plus belles chances d’avenir, nous pouvons craindre d’être engagés de ce côté plus loin qu’on ne l’aurait voulu, et d’y rencontrer des difficultés longues et coûteuses en vue d’un résultat incertain. Si nous portons nos regards vers le Mexique, nous trouvons également, au début même de cette expédition entreprise si inopinément, de graves mécomptes résultant de fausses informations et d’une étude incomplète des lieux, des choses et des hommes. Il importe donc que l’opinion publique soit bien prémunie contre les dangers de la question de Madagascar, puisque certains esprits animés des plus patriotiques sentimens veulent à toute force qu’il y ait là une question française !

On ne connaît de Madagascar que la route de Tamatave à Atanarive et