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de sectes la grandeur et la prospérité de leur pays. Bull’s Run, en humiliant un des deux adversaires, avait fermé pour un temps la porte à toute chance de rapprochement. Aussitôt que le gouvernement légal du pays aurait pris sa revanche et fait acte de force, il redevenait possible de négocier et de rétablir d’un commun accord le lien fraternel de l’Union. Pour cela, il fallait se hâter ; les esprits s’aigrissaient de plus en plus de part et d’autre ; les intérêts, les ambitions individuelles, les intrigues étrangères s’interposaient plus actives entre les deux camps, et chaque jour devait rendre plus difficile l’œuvre de la réconciliation. Un grand succès de l’armée fédérale devant York-Town était donc d’une vitale importance pour le gouvernement de Washington. Malheureusement les meneurs et les généraux confédérés en avaient aussi le sentiment, et ils prirent, en gens aussi habiles que résolus, le meilleur parti pour le rendre impossible.

Dans la nuit du 3 au li mai, York-Town et les lignes du Warwick-River furent évacuées. Cette évacuation avait dû être commencée depuis plusieurs jours, mais elle avait été conduite avec un grand secret et une grande adresse. Le 3, le tir des batteries ennemies avait redoublé de vivacité. Les obus lancés par les canons rayés volaient de tous côtés avec des portées qu’on n’avait pas encore soupçonnées. La justesse de leur tir[1] força d’abandonner tous les postes de signaux qu’on avait établis au sommet des grands arbres. Le ballon lui-même, lorsqu’il s’éleva en l’air pour faire sa reconnaissance habituelle, fut salué par une grêle de projectiles, du reste inoffensifs. Tout cela avait pour but de masquer le mouvement de retraite, et y réussit parfaitement.

Le 11 donc, au point du jour, les hommes des rifle pits placés aux avant-postes ne virent plus rien devant eux ; quelques-uns s’avancèrent avec précaution jusqu’aux lignes ennemies. Il y régnait un silence de mort. Bientôt ce ne fut plus un soupçon, ce fut une information précise portée à la fois au quartier-général par toutes les lignes télégraphiques qui le reliaient avec les différens corps d’armée. Les confédérés avaient disparu, les chances d’un brillant succès s’évanouissaient. L’impossibilité du concours de la marine et la fatale mesure qui avait ôté à l’armée du Potomac le corps de Mac-Dowell s’étaient jointes à la fermeté de l’ennemi pour empêcher d’enlever York-Town par un coup de main ; on avait ensuite

  1. Je ne sais s’il faut mettre sur le compte de cette justesse du tir ennemi un coup bien extraordinaire qui eut lieu pendant le siège. Des ingénieurs topographiques étaient penchés sur leur planchette, occupés à faire un relevé ; ils furent aperçus, et on leur envoya un coup de canon, un seul. L’obus, bien que tiré à une immense portée, vint juste éclater sur la planchette et tua l’officier avec son assistant.