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geaient vers Williamsburg étaient encombrées de troupes. Sur celle de gauche, venant de Lees-Mill, se trouvaient les divisions Hooker et Kearney, du corps d’Heintzelman, mais séparées par une masse énorme de wagons chargés de bagages et pour la plupart embourbés. Sur celle de droite s’avançaient deux autres divisions, avec plus de peine encore. L’état du sol était tel que des canons s’enfonçaient dans la boue liquide des routes jusqu’à y enfouir leur affût tout entier. De ce pêle-mêle d’hommes et de bagages sur des chemins étroits et défoncés était résulté un désordre considérable. Il n’y a pas aux États-Unis de corps d’état-major. Le système américain de chacun pour soi, individuellement appliqué par les officiers et les soldats de chaque corps les uns envers les autres, l’est également par les corps entre eux. Point de service spécial chargé de régulariser, centraliser, diriger les mouvemens de l’armée. Dans un cas comme celui dont nous parlons, nous aurions vu les officiers d’état-major d’une armée française veiller à ce que rien n’entravât la marche des troupes, arrêter ici un détachement de wagons et le faire ranger pour dégager le passage, envoyer là des hommes de corvée pour réparer la route ou retirer un canon du bourbier, pour communiquer à chacun des chefs de corps les instructions du général. Ici rien de tout cela. Les fonctions de l’adjudant-général se bornent à la transmission des ordres du chef, sans en surveiller le moins du monde l’exécution. Le général n’a pour porter ses instructions que des aides-de-camp pleins de bonne volonté, bons pour répéter machinalement un ordre verbal, mais fort peu écoutés s’ils veulent exercer une initiative quelconque. Jusqu’ici, bien que cette absence d’un corps d’état-major se fut fait souvent sentir, les conséquences n’en avaient pas été graves. On avait le télégraphe, qui suivait partout l’armée et qui en reliait constamment les divers corps entre eux : les généraux pouvaient causer ensemble et se communiquer ce qu’il y avait d’important ; mais, une fois en marche, on n’avait plus la ressource du télégraphe, et dès lors peu ou point de communications. L’absence d’état-major ne se faisait pas moins sentir pour recueillir et transmettre les renseignemens nécessaires au moment où l’action allait s’engager. Personne ne connaissait le pays ; les cartes ne servaient à rien, tant elles étaient défectueuses. Du champ de bataille fortifié sur lequel allait combattre l’armée on savait peu de chose. Ce champ de bataille avait cependant été vu la veille et reconnu par les troupes qui avaient pris part à l’échauffourée de Stoneman : on en savait assez pour combiner un plan d’attaque et assigner à chacun son rôle… Eh bien ! non : chacun garda pour soi ses observations, non par mauvais vouloir, mais parce que nul n’avait ce travail d’ensemble dans ses attributions spéciales. C’était l’organi-