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La masse des troupes fédérales fut retenue par la nécessité d’attendre de York-Town les vivres, dont l’état des routes rendait l’arrivage difficile. On les reçut enfin, et, le beau temps séchant rapidement les chemins, on rejoignit, après deux jours de marche, le corps qui avait débarqué au haut du York-River et formé là un point d’approvisionnement. L’armée tout entière se rallia autour de ce dépôt ; puis elle reprit sa route vers Richmond en suivant le Pamunkey, affluent navigable du York-River. Rien de plus pittoresque que cette marche militaire le long des bords d’un beau fleuve, à travers un pays magnifique, paré de toutes les richesses d’une végétation printanière. C’était un enchantement perpétuel pour nos yeux que le cours sinueux du Pamunkey dans une vallée entrecoupée de prairies d’une verdure éclatante et de collines boisées. Partout des fleurs, surtout au bord de l’eau, où les magnolias, les jasmins de Virginie, les azaléas et les lupins bleus abondaient. Les oiseaux-mouches, les colibris, des oiseaux inconnus de toutes couleurs, se jouaient en foule dans les branches. Parfois on passait devant une habitation de belle apparence, rappelant nos vieux châteaux de France, avec de grandes fenêtres dans le toit ; autour de la maison, un beau jardin, et par derrière les maisonnettes des esclaves. À l’approche de l’armée, les habitans déployaient un drapeau blanc ; un cavalier du grand-prévôt mettait pied à terre à la porte, et, rassurées par sa présence, les dames en longues robes de mousseline, entourées d’un cortège de petites négresses aux cheveux hérissés et aux jambes nues, paraissaient sur la verandah pour voir passer les troupes. Souvent elles avaient avec elles un vieillard en longs cheveux blancs, chapeau à larges bords, traits fortement accentués ; jamais de jeunes gens. Bon gré, mal gré, le gouvernement insurgé avait enlevé tous les hommes valides pour les incorporer parmi ses défenseurs. Si un officier descendait de cheval et se présentait aux dames, il était accueilli avec bonne grâce ; on lui offrait dans une écuelle emmanchée au bout d’un bâton le verre d’eau classique, et la conversation s’engageait tristement. Hommes et femmes demandaient avant tout des nouvelles ; ils ne savaient rien, la censure des journaux sécessionistes était complète, et on mettait en doute le peu qu’ils disaient. Puis on parlait de la guerre. Les dames faisaient naturellement des vœux pour le parti où étaient leurs frères ; mais elles désiraient avant tout la fin de la lutte et des maux incalculables qu’elle appelait sur leur pays. — Hélas ! à qui la faute ? leur répondait-on. Qui avait allumé cette malheureuse guerre ? Qui avait tiré, sans cause et sans motifs, les premiers coups de canon ? — On ne répondait rien, mais les regards allaient machinalement se promener sur toutes ces têtes noires qui se pressaient sur les portes de leurs cabanes. Jamais dans ces entretiens passagers