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sion, et je me demandais tristement combien, parmi cette vaillante jeunesse qui m’entourait en me racontant ses exploits de la veille, paieraient de leur vie l’erreur déplorable que l’on allait commettre !

Non-seulement les deux armées ne se réunirent pas et ne communiquèrent même pas ensemble, mais l’ordre arriva par le télégraphe de Washington de brûler les ponts dont on venait de se saisir. On disait par là aussi clairement que possible à l’armée du Potomac et à son chef qu’ils devaient en tout cas renoncer à l’appui des armées de la Haute-Virginie : le moyen de se rejoindre leur était enlevé. Cette fâcheuse mesure avait été prise à la nouvelle d’une pointe hardie que faisait en ce moment le général confédéré Jackson sur le Haut-Potomac. Ce chef habile, trouvant les forces fédérales dans ces parages dispersées en une foule de petites armées indépendantes sous les ordres des généraux Frémont, Banks, Siegel, etc., avait profité de cet état d’anarchie pour les combattre les uns après les autres. Il avait rejeté Banks de l’autre côté du Potomac et créé une confusion telle qu’on l’eût cru déjà près d’entrer à Washington. Avec plus de 40,000 hommes pour protéger cette ville, la ligne du Potomac si facile à défendre, et le vaste camp retranché qui entourait la capitale, on-ne s’y sentait pas en sûreté. On appela en toute hâte Mac-Dowell pour concourir à la poursuite de Jackson. Mac-Dowell, comme il fallait s’y attendre, arriva trop tard. Les ponts qui pouvaient relier ses opérations à celles de Mac-Clellan n’en restaient pas moins coupés : probablement, au milieu du trouble où l’on était à Washington, l’ordre de les détruire avait-il été donné, afin d’empêcher les confédérés de se servir de cette voie pour envoyer des renforts à Jackson.

Mais laissons là cet affligeant spectacle, laissons Jackson se jouer par ses rapides mouvemens des quatre généraux qui lui sont opposés. Il avait atteint son but. Sa pointe audacieuse avait empêché la jonction de Mac-Clellan et de Mac-Dowell à l’heure où elle eût pu être décisive. Désormais l’armée du Potomac, réduite à ses seules ressources, n’avait plus à compter que sur elle-même. Il fallait se presser d’agir, car chaque jour augmentait la disproportion entre les forces des deux adversaires, et il était à craindre que les fédéraux, campés au milieu des marais du Chikahominy, n’eussent beaucoup à souffrir des grandes chaleurs dont on commençait à ressentir les atteintes. On était depuis quelques jours en présence les uns des autres. Les avant-postes fédéraux campaient à cinq milles de Richmond. Les escarmouches étaient journalières, et, avec l’acharnement qu’on y portait de part et d’autre, une action générale devenait inévitable. Le général Mac-Clellan attendait pour attaquer deux choses : que les routes défoncées par les pluies de-