Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/859

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la ligne des piquets, ligne non interrompue de sentinelles soutenues par de fortes réserves et qui ne s’écartent jamais beaucoup du corps auquel elles appartiennent. Or les deux armées étaient si rapprochées et si attentives à ne pas se céder un pouce de terrain que leurs piquets se tenaient à portée de voix les uns des autres. Généralement ils faisaient assez bon ménage et se bornaient à s’observer réciproquement. Quelquefois il s’établissait entre eux des communications amicales : on trafiquait de maints petits objets, on échangeait les journaux de Richmond contre le New-York Herald. Il arriva même un jour que des officiers fédéraux furent invités par leurs camarades confédérés à se rendre au bal à Richmond, à la condition toutefois de se laisser bander les yeux pour l’aller et le retour ; mais il suffisait d’un coup de feu parti au hasard pour interrompre soudainement ces bons rapports ; on se fusillait pendant un quart d’heure et on se tuait ou blessait une centaine d’hommes avant que le calme se rétablit.

D’autres fois les troupes étaient surprises dans leurs camps par une pluie d’obus venus on ne sait d’où, par-dessus les piquets, réveil assez désagréable quand cela arrivait la nuit. Si c’était de jour, on montait au sommet de quelque grand arbre pour voir d’où partaient les coups. La fumée indiquait l’emplacement, et l’on apercevait aussi quelque soldat confédéré grimpé lui-même au haut d’un arbre culminant de la forêt, qui, de là, dirigeait le tir des canonniers. On ripostait aussitôt, et surtout on cherchait à descendre le pointeur aérien. Ces taquineries isolées, soit qu’elles fussent un picket-firing ou un long-range-shelling, n’inquiétaient guère que les troupes qui y étaient immédiatement exposées, car elles étaient de tous les instans, et il n’est rien qui ne passe en habitude ; mais parfois le canon et la mousqueterie se mêlaient ensemble avec une vivacité à laquelle personne ne se trompait, qui faisait prendre les armes à tout le monde et monter à cheval les états-majors. L’ennemi faisait une démonstration en force, et on y répondait. Allait-il en sortir une bataille ? Cette incertitude de tous les instans était singulièrement fatigante. Cependant la bataille ne venait pas. Les généraux du sud, pas plus que ceux du nord, ne se souciaient d’engager prématurément une action générale. Ils avaient leurs projets et s’en remettaient au temps de les mûrir. Chaque jour leur amenait de nouveaux renforts, et ils en attendaient encore. Toutes les forces vives de la rébellion allaient être bientôt réunies autour de Richmond. Pendant ce temps, la maladie faisait de grands ravages parmi les soldats fatigués de l’armée fédérale. L’extrême chaleur, jointe aux émanations des marécages, engendrait des fièvres, qui prenaient presque immédiatement le caractère typhoïde. Telle divi-