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voir. Là-dessus il passa pour un monstre. Les journaux le couvrirent d’opprobre; ses amis l’engageaient à ne plus aller au théâtre ni au parlement, craignant qu’il ne fût sifflé ou insulté. Ce qu’une âme si violente, précocement habituée à la gloire éclatante, ressentit de fureur et de tortures dans cet assaut universel d’outrages, on ne peut l’apprendre que par ses vers. Il se raidit, alla s’enfoncer à Venise dans la voluptueuse vie italienne, même dans la basse débauche, pour mieux faire insulte à la pruderie puritaine qui l’avait condamné, et n’en sortit que par une offense encore plus blâmée, son intimité publique avec la jeune comtesse Guiccioli. Cependant il se montrait aussi âprement révolutionnaire en politique qu’en morale. Dès 1813, il écrivait : « J’ai simplifié ma politique; elle consiste à présent à détester à mort tous les gouvernemens qui existent.» Cette fois, à Ravenne, sa maison était le centre et l’arsenal des conspirateurs, et il se préparait généreusement et imprudemment à sortir en armes avec eux pour tenter la délivrance de l’Italie. « Ils veulent s’insurger ici, écrivait-il sur son journal[1], et veulent m’honorer d’une invitation. Je ne ferai point défaut, quoique je ne les croie pas assez forts de nombre et de cœur pour faire grand’chose; mais en avant! — Que signifie le moi? Un homme ou un million d’hommes, il n’importe, c’est l’esprit de liberté qu’il faut répandre. En de telles occasions, il ne faut point de calcul personnel, et aujourd’hui ce ne sera pas moi qui le ferai. » En attendant, il avait des rixes avec la police, sa maison était surveillée, il était menacé d’assassinat, et néanmoins tous les jours il montait à cheval, et allait s’exercer au pistolet dans la forêt de plus voisine. Ce sont les sentimens d’un homme qui est à la gueule d’un canon chargé attendant qu’il parte : l’émotion est grande, héroïque même, mais elle n’est pas douce, et certainement, même en ce moment de grande émotion, il était malheureux; rien de plus propre à empoisonner le bonheur que l’esprit militant. « Pourquoi, écrit-il, ai-je été toute ma vie plus ou moins ennuyé?... Je ne sais que répondre, mais je pense que c’est dans mon tempérament,... comme aussi de me réveiller dans l’abattement, ce qui n’a jamais manqué de m’arriver depuis plusieurs années. La tempérance et l’exercice que j’ai pratiqués parfois et longtemps de suite vigoureusement et violemment n’y faisaient que peu ou rien. Les passions violentes me valaient mieux. Quand j’étais sous leur prise directe, — c’est étrange, — mais j’étais agité et non abattu. — Pour le vin et les spiritueux, ils me rendent sombre et sauvage jusqu’à la férocité, — silencieux pourtant et solitaire, point querelleur, si on ne me parle pas. Nager aussi me relève; mais en général je suis bas, et tous les jours plus bas. A cela pas de remède, car je

  1. 1821.