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tante et harmonieuse, épanchée sur toutes choses, sur le ciel lumineux, sur les paysages calmes, sur la nudité des corps, sur la naïveté des cœurs. Y a-t-il une chose qu’elle ne divinise? Tous les sentimens s’exaltent sous sa main. Ce qui était grossier devient noble; même dans cette aventure nocturne du sérail qui semble digne de Faublas, la poésie embellit la licence : les jeunes filles reposent dans le large appartement silencieux, comme de précieuses fleurs apportées de tous les climats dans une serre. « L’une a posé sa joue empourprée sur son bras blanc, — et ses boucles noires font sur ses tempes une grappe sombre. — Elle rêve ainsi dans sa langueur molle et tiède. — L’autre, avec ses tresses cendrées qui se dénouent, — laisse pencher doucement sa belle tête, — comme un fruit qui vacille sur sa tige, — et sommeille, avec un souffle faible, — ses lèvres entr’ouvertes, montrant un rang de perles. — Une autre, comme du marbre, aussi calme qu’une statue, — muette, sans haleine, gît dans un sommeil de pierre, — blanche, froide et pure, et semble une figure sculptée sur un monument. » Cependant les lampes alanguies n’ont plus qu’une clarté bleuâtre; Dudu s’est couchée, l’innocente, et si elle a jeté un regard dans son miroir, « c’est comme la biche qui a vu dans le lac — passer fugitivement son ombre craintive. — Elle sursaute d’abord et s’écarte, puis coule un second regard — admirant cette nouvelle fille de l’abîme. » Que va devenir ici la pruderie puritaine? Est-ce que les convenances peuvent empêcher la beauté d’être belle? Est-ce que vous condamnerez un Titien, parce qu’il est nu? Qui est-ce qui donne un prix à la vie humaine et une noblesse à la nature humaine, sinon le pouvoir d’atteindre aux émotions délicieuses et sublimes? Vous venez d’en avoir une, et digne d’un peintre; est-ce qu’elle ne vaut pas celle d’un alderman? Refuserez-vous de reconnaître le divin, parce qu’il apparaît dans l’art et la jouissance, et non pas seulement dans la conscience et l’action? Il y a un monde à côté du vôtre, comme il y a une civilisation à côté de la nôtre; vos règles sont étroites et votre pédanterie tyrannique; la plante humaine peut se développer autrement que dans vos compartimens et sous vos neiges, et les fruits qu’alors elle portera n’en seront pas moins précieux. Vous le voyez bien, puisque vous y goûtez quand on vous les offre. Qui a lu les amours d’Haydée, et a eu d’autre pensée que de l’envier et de la plaindre? C’est une enfant sauvage qui a recueilli Juan, un autre enfant jeté évanoui par le flot sur la grève. Elle l’a préservé, elle l’a soigné comme une mère, et maintenant elle l’aime : qui est-ce qui peut la blâmer de l’aimer? Qui est-ce qui peut, en présence de la magnifique nature qui leur sourit et les accueille, imaginer pour eux autre chose que la sensation toute-puissante qui les unit? « C’é-