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comtesse qui a connu autrefois sa famille, et qui habite un beau château entouré d’un magnifique parc. Là, il fait connaissance avec M. Mason, le principal propriétaire de la paroisse après la comtesse, le type choisi par l’auteur pour représenter le country gentleman anglais. M. Mason n’est ni un lord ni un baronet, c’est un simple propriétaire agriculteur, vivant toute l’année sur son domaine, ayant le titre de juge de paix et de gardien des pauvres, et possédant une fortune que l’auteur n’évalue pas, mais qui doit être à première vue d’environ 2,000 livres sterling ou 50,000 francs de rente. Sa ferme, qu’il montre avec orgueil, parce qu’il en dirige lui-même la culture, a 600 acres ou 240 hectares d’étendue, ce qui doit valoir, avec l’habitation et ses dépendances, bien près d’un million, et il y joint sans doute, suivant l’usage anglais, des rentes sur l’état et d’autres revenus.

J’insiste sur ces détails, parce qu’ils me paraissent caractéristiques. Dans chacune des 10,000 paroisses de l’Angleterre proprement dite, il y a un propriétaire de cet ordre au moins, et c’est dans ces quinze ou vingt mille familles, n’appartenant pas précisément à l’aristocratie, mais formant la tête du tiers-état, que réside la plus grande force sociale du pays. La pairie se compose en tout de 400 membres héréditaires, les baronets ne sont pas plus de 700 : l’illustration de la plupart de ces noms, les immenses fortunes territoriales qui les accompagnent en font sans doute un des principaux soutiens de la constitution britannique; mais ils sont en petit nombre, et ne peuvent se trouver partout. Les esquires ou propriétaires de second ordre, comme M. Mason, sont les véritables colonnes de l’édifice; ce sont eux qui administrent, qui rendent la justice, qui dirigent les travaux des routes, qui surveillent la distribution des secours publics, qui activent les progrès de l’agriculture, qui dirigent les élections des comtés, qui forment la majorité de la chambre des communes. Beaucoup d’entre eux sont alliés à l’aristocratie, et ces deux classes n’en font qu’une en réalité, tandis qu’en France elles se sont divisées et se sont perdues toutes deux par leur division.

On sait qu’il n’y a en Angleterre ni préfets, ni sous-préfets, ni tribunaux de première instance, ni conseils-généraux électifs, et qu’il n’y a de maires et de conseils municipaux que dans les villes. Toutes ces fonctions sont concentrées dans les campagnes entre les mains des magistrats ou juges de paix, dont le nombre est illimité, et qui sont nommés par le lord-lieutenant du comté, sorte de gouverneur de province qui n’a guère d’autre attribution. Il est difficile de ne pas reconnaître dans ces juges de paix, justices of the peace les anciennes justices seigneuriales, transformées par le temps, mais conservant encore les traces de leur origine. Ce titre est à vie, il ne donne droit à aucun traitement, et n’en est pas moins fort recherché. Tout propriétaire territorial un peu important en est revêtu. Deux fois par mois, et s’il y a lieu plus souvent, trois ou quatre d’entre eux se réunissent pour juger correctionnellement les simples délits, tels que vols ordinaires, braconnages, voies de fait; la peine qu’ils prononcent est la prison ou l’amende. Tous les trois mois, ils se rassemblent au chef-lieu du comté[1] pour former un tribunal dont les attributions sont très éten-

  1. Un comté anglais équivaut en moyenne à la moitié d’un département français ; mais il y a parmi ces comtés beaucoup d’inégalité. Même sans parler du comté d’York, qui se divise en réalité en trois, le comté de Lincoln a 660,000 hectares, et celui de Rutland à peine 40,000.