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en trouverait ailleurs peuvent tenir aux influences toujours constantes de la nature et du climat. Dès longtemps, la force toute-puissante de l’assimilation grecque a agi sur tout le territoire occupé aujourd’hui par les Turcs. La conquête d’Alexandre a préparé cette extension ; l’établissement et la longue durée de L’empire d’Orient l’ont confirmée. Cent peuples de races diverses s’y sont incorporés pour former une masse sans traits distincts que ceux d’une corruption commune. Les Grecs des villes de la Syrie et de l’Égypte, de Constantinople et d’une grande partie de l’Asie-Mineure, ceux par conséquent avec qui la plupart des voyageurs se trouvent en contact, sont le résultat toujours vivant de ce mélange.

« L’ancien territoire hellénique a eu peu de part à ce grand développement. Une seule race s’y est considérablement accrue, à mesure que les autres succombaient sous toute espèce de misères. Sortie en essaim nombreux de l’Épire, sa patrie, elle a successivement absorbé les restes déchus des populations antérieures, et leur a communiqué à la fois son organisation physique, les traits de sa physionomie et sa vigueur morale.

« Quoique ancien dans les forêts de l’Épire, l’Albanais est resté un peuple du nord. Il en a l’apparence extérieure et l’énergie. Je ne sais jusqu’à quel point il est possible de comparer ces migrations silencieuses, qui, à une époque récente, ont renouvelé la face de la Grèce, avec les invasions achéennes et doriennes, qui, dans les temps antiques, ramenèrent l’élément septentrional dans la civilisation hellénique. Je n’oserais dire si ces rameaux successivement détachés de la grande tige thraco-illyrienne portaient aussi clairement empreinte la marque de leur origine ; mais à coup sûr aucune personne réellement familiarisée avec l’étude des monumens antiques n’échapperait à l’étonnement qui saisit en arrivant en Grèce, alors que, cherchant dans les traits des habitans la trace de leur parenté avec les Hellènes, on ne trouve presque partout que matière à contredire une prétention si solidement établie. À Dieu ne plaise que je veuille diminuer en rien par mes paroles l’intérêt si légitime qu’excitent les habitans modernes de la Grèce ! Je crois au contraire que l’appréciation bien nette des titres qu’ils réclament, et qui pourtant provoquent une comparaison défavorable à leur cause, je crois que cette appréciation ramènera beaucoup d’esprits positifs, dégoûtés de cet appel intempestif à des souvenirs de collège. Il en résulterait d’abord cette vérité que, si les Grecs d’aujourd’hui ne sont pas les Hellènes du temps de Thémistocle, ils ne sont pas non plus les Byzantins de l’époque de Copronyme et de Ducas… »


On voit que les idées de Fallmerayer sur la Grèce n’étaient pas toutes des révélations ; ce qui était neuf, c’était l’appareil des preuves, c’était cette série de catastrophes, suivies de siècle en siècle avec une précision magistrale, et dont quelques-unes avaient échappé jusque-là aux regards des historiens. À la place des vagues conjectures, le critique allemand mettait une démonstration invincible. Ce qui était neuf encore, et neuf jusqu’à la témérité, c’étaient les conséquences passionnées que l’auteur tirait de ses prémisses. Ni M. Hase, ni le voyageur que nous venons de citer ne prétendaient opposer aux Grecs une fin de non-recevoir en contestant leur parenté ; ce peuple,