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montre sous un de ses meilleurs aspects. Il n’est pas de Français à Londres qui ne soit frappé du grand nombre d’hôpitaux, maisons de refuge et autres établissemens du même genre au-dessus desquels se lit l’inscription : supported by private contribution (soutenu par la charité privée), tant ce système diffère de la charité officielle et publique que nous connaissons. Peut-être sous ce rapport New-York l’emporte-t-il même sur Londres, et il est impossible de ne pas être ému par la révélation de cette face inattendue du caractère de la nation. Ce peuple si positif, si âpre au gain, si sec dans ses allures, si dur même parfois, on le voit avec étonnement s’éprendre d’une touchante sollicitude pour l’infirme et pour l’orphelin, s’enquérir de leurs besoins, y pourvoir avec une générosité sans bornes, et leur donner une large partie de ce temps qu’il estime plus encore que l’argent, en briguant comme un honneur les diverses fonctions de ces innombrables comités de bienfaisance : tout cela sans étalage ni ostentation ; la conscience d’avoir accompli son devoir de chrétien lui suffit. Nous n’entreprendrons pas d’énumérer ces institutions, où, sous les formes les plus ingénieuses et les plus variées, l’esprit de secours semble avoir reçu le don de Protée. Tantôt ce sera une association qui embrassera la ville entière et portera son tribut dans les plus sombres réduits, tantôt le réseau s’étendra sur tout le pays, afin de trouver dans le milieu vivifiant des campagnes un recours contre les influences délétères de la capitale. Les orphelins seuls ont peut-être à New-York dix établissemens qui leur sont consacrés. Les femmes sans ressources en ont d’autres qui leur permettent d’échapper aux tentations dont elles sont entourées. Protestans et catholiques rivalisent de zèle sans que la croyance soit jamais un motif d’exclusion. Parfois ces temples de la charité ont une structure monumentale, comme ceux des sourds-muets et des aveugles ; parfois les proportions sont plus modestes, mais toujours à l’intérieur règnent la même munificence, le même esprit d’affection et de vraie fraternité.

L’un des plus remarquables de ces établissemens est destiné aux marins. En 1801, un capitaine de navire du nom de Randall fonda pour les matelots hors d’âge ou incapables de servir un hospice situé dans une petite ferme près de New-York. La ville s’agrandit, la campagne devint rue, les terrains acquirent une valeur qui permit de les vendre pour reconstruire l’hôpital sur une des îles de la rade, et aujourd’hui la petite ferme a créé un revenu de 500,000 fr. La maison d’industrie des Five-Points est d’un autre genre ; mais je ne connais rien de plus utile ni de plus admirable. Le quartier des Five-Points est à New-York ce que Saint-Giles est à Londres, le plus abject refuge du vice et de la misère, l’ulcère et la honte