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IV. — RELATION QUI EXISTE ENTRE LA PUISSANCE PRODUCTIVE D’UNE SOCIETE ET SA CONSTITUTION POLITIQUE ET SOCIALE.

Il existe une relation des plus intimes entre le progrès de la puissance productive de l’homme et le mode de répartition des charges et des avantages de la société : ce qui revient à dire que le rapport le plus étroit subsiste entre la constitution politique et sociale d’un état et le degré auquel est parvenue cette puissance productive.

À une très petite puissance productive, comme celle que les monumens de l’histoire permettent de constater pour les premiers âges de la civilisation, correspond la dépendance à peu près absolue du grand nombre. Le commun des hommes est tenu à la tâche, à la chaîne ; ses forces sont excédées, et une sorte de fatalité commande qu’il en soit ainsi, afin qu’il puisse y avoir une production suffisante pour les premiers besoins de la société et un peu d’éclat autour de l’existence des chefs. Dans la Grèce antique, le nombre des esclaves était grand en comparaison des hommes libres, et il en fut de même à Rome. L’esclavage est l’affligeant corrélatif d’une puissance productive très restreinte chez l’individu et dans la société ; il perd toute raison d’être et tout prétexte lorsque la puissance productive est devenue grande ou seulement médiocre. Un grand développement de la puissance productive de l’homme permet, si même il ne l’ordonne pas, une organisation sociale et politique fondée sur les principes d’égalité et de liberté. Tout au moins on ne contestera pas qu’il la facilite, et que par rapport à une organisation semblable une grande puissance productive soit un fait parfaitement concordant.

Du moment que la puissance productive de l’homme a beaucoup grandi, et que cet agrandissement s’est manifesté dans le plus grand nombre des branches de l’industrie, une chose est claire : la production étant grande relativement au nombre des membres de la société, on a le moyen d’attribuer à chacun une part suffisante pour le soustraire au dénûment. Bien plus, chacun produisant davantage (c’est l’hypothèse même où je me place), et étant pour la société un membre plus utile, a droit à un lot plus fort dans l’ensemble des produits qui résultent du travail de ses semblables ; ainsi le veut l’équitable loi de la réciprocité. Si la politique suivie par cette société est libérale, si en conséquence chacun a le moyen de revendiquer son droit légitime, si la pente des mœurs publiques et privées est prononcée dans le sens de l’égalité, un grand développement de la puissance productive déterminera forcément une répartition des produits qui soit favorable au grand nombre. L’accroissement de la puissance productive tourne alors au profit du bien-être de toutes