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laissé bien en arrière toutes les civilisations fondées sur des religions différentes.

Dès lors il était immanquable que la civilisation chrétienne aboutit un jour à un ordre de choses tel que celui qui, sous des formes diverses, s’est manifesté et constitué successivement pendant les dernières périodes de l’histoire, en France, aux États-Unis, en Prusse, en Angleterre, et finalement partout en Europe. Il était écrit qu’à travers tous les incidens dont les passions des hommes, les travers de l’esprit humain et le hasard des événemens compliquent et embarrassent la marche de la civilisation, l’organisation politique et sociale des nations chrétiennes graviterait continuellement vers l’application des principes de liberté et d’égalité, application qui aujourd’hui enfin est devenue éclatante, et vers une situation économique où la puissance productive serait fort agrandie, et où cet agrandissement tournerait au profit du grand nombre, situation qui se dessine chaque jour plus profondément.

L’histoire moderne offre la preuve visible et tangible de cette proposition, qu’il existe une étroite solidarité entre le progrès de la puissance productive d’une part et la marche ascendante de la politique démocratique de l’autre, je veux dire de cette politique qui de plus en plus met le grand nombre en possession des conséquences des deux principes qui ont nom la liberté et l’égalité.

Il y aura bientôt un siècle que cette politique démocratique, brisant tout d’un coup sa coquille, a pris son essor en Europe, ou pour mieux dire dans deux dès quatre parties du monde, car nulle part elle n’a brillé et n’a donné des résultats extraordinaires plus que dans la moitié septentrionale du nouveau continent. Il y a aussi un siècle environ que la puissance productive s’est mise à acquérir des développemens jusqu’alors inconnus, et que la richesse a marché d’une vitesse accélérée. Depuis un demi-siècle bientôt, la paix générale est rétablie, et n’a éprouvé que de courtes et rares interruptions. Pendant cette même période semi-séculaire, où la guerre, qui est la plus grande des forces perturbatrices, a été presque complètement tenue à l’écart, les deux grands faits que je viens de mentionner, l’un politique et social, l’autre économique, se sont révélés parallèlement avec une ampleur et un succès qui composent un des plus grands et des plus beaux spectacles de l’histoire. Il faudrait avoir le parti-pris de fermer les yeux à la lumière pour nier qu’ils se sont prêté un mutuel appui, et que chacun des deux est indispensable à l’autre. On dirait deux frères jumeaux, liés l’un à l’autre par la plus profonde sympathie, si bien que la vie de l’un ne puisse être menacée sans que l’autre ne soit en péril.