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chez ce vieillard inexorable, il y avait une sorte de grandeur farouche dans cette magnificence qui ne reculait devant aucun sacrifice pour assurer le triomphe de sa jalousie. 11 y avait de l’habileté aussi à mettre ainsi Mme d’Estrelle aux prises avec le sacrifice des intérêts de Julien, de Mme Thierry et de Marcel. Ce dernier s’exécuta sur-le-champ avec une grande noblesse de langage. — Mon oncle, dit-il à M. Antoine, vous ferez pour moi dans l’avenir ce que bon vous semblera. Vous me connaissez trop pour croire que des espérances de ce genre influeront jamais sur ma conscience. J’ai dit tout à l’heure que j’étais contraire à la résolution de Mme d’Estrelle : j’avais là-dessus des idées que mon devoir est encore de lui soumettre ; mais sachez bien que, si elle ne juge pas à propos de s’y rendre, je ne lui rappellerai jamais que sa résistance peut me nuire dans votre esprit, que je n’agirai jamais avec elle sous l’impression de mon intérêt personnel, et qu’enfin, si madame persiste, ainsi que Julien, dans le projet qu’ils ont de se marier, je les aiderai de mes conseils, de mes services, et leur serai éternellement ami, parent et serviteur. Julie tendit silencieusement la main au procureur. Des larmes vinrent au bord de ses paupières. Elle regarda Antoine et vit se n inébranlable obstination sur son ma’- que racorni et cuivré.

— Allons trouver Mme Thierry et Julien, dit-elle en se levant ; c’est à eux qu’il appartient de prononcer.

— Non pas ! s’écria M. Antoine ; je ne veux pas qu’on prenne les gens au dépourvu. Dans le premier moment, je sais fort bien que le peintre fera son grand homme et que la mère prendra ses grands airs, surtout en ma présence. Et puis on se piquera d’honneur devant madame, on ne voudra pas être en reste de fierté : sauf à s’en repentir l’heure d’après, on dira vitement comme elle ; mais j’attends tout le monde à demain matin, moi ! Je reviendrai. Porte-leur mon dernier mot, procureur ; fais tes réflexions aussi, mon bel ami, et nous verrons alors si vous serez bien d’accord tous les quatre pour refuser mes dons présens et mes dépouilles futures. À revoir, madame d’Estrelle. Demain, ici, à midi !

Julie, en le voyant sortir, se laissa retomber pâle et brisée sur son fauteuil. Il se retourna au moment de quitter le salon, et s’assura qu’il avait réussi à ébranler ce fier courage. Il s’en alla triomphant.

George Sand.

(La dernière partie au prochain n°.)