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service et se trouva gravement compromis. La canonnière la Fusée fut prise par les glaces dans le Peï-ho, et n’en put sortir qu’après le départ de l’armée, grâce à une crue subite du fleuve.

L’évacuation d’une partie de l’armée et de ses bagages, exécutée sur une rade foraine, à six milles de terre, au moment où l’hiver se déchaînait journellement, fut la plus dure des opérations de détail accomplies par les marins. Elle marqua la fin de l’expédition de Chine. C’est en effet de Sha-lui-tien, à cinquante lieues de Pékin et à douze cents lieues de Saïgon, que furent dirigés les premiers renforts destinés à l’armée de Cochinchine, et que les canonnières en fer furent remorquées. Ces petits navires avaient rendu de brillans services comme bâtimens de flottille de guerre : ils avaient concouru puissamment à la reddition des forts du Peï-ho. Plus tard encore, on les avait vus parcourir le fleuve et transporter sans cesse des troupes ou des approvisionnemens. Le rôle de ces canonnières avait changé : elles étaient alors simplement utiles ; elles n’avaient point été faites pour les communications entre la rade de Sha-lui-tien et le Peï-ho, et dans cette traversée de six milles, par une mer houleuse, leur roulis devenait parfois inquiétant. Leur machine n’était pas assez forte pour, remonter contre la brise dès qu’elle devenait un peu fraîche. C’était par elles cependant que l’évacuation des troupes avait pu être terminée en vingt jours malgré la mer, le vent et le froid. Que de coups d’aviron n’avaient-elles point épargnés ! Les équipages n’y auraient pas suffi. En Cochinchine, dans un pays coupé par des cours d’eau intérieurs, leur rôle devait être précieux, et on pouvait prévoir qu’elles seraient d’excellens moyens d’action pour combattre et pour ravitailler. Seulement c’était une expérience nouvelle que de traîner à la remorque. Sur un espace de douze cents lieues, ces légères chaloupes à vapeur faites pour des eaux tranquilles. Leurs canons, leurs munitions et leurs vivres furent embarqués à bord des bâtimens qui devaient les remorquer ; leurs panneaux furent calfatés, et le charbon fut transporté à l’avant pour diminuer leur très grande différence de tirant d’eau. Elles supportèrent bien cette épreuve, et il ne s’en perdit que deux.

Cependant les navires appareillaient à mesure qu’ils étaient prêts. La Saône ramenait les coulies à Canton. Le Duchayla partait le 10 novembre avec le baron Gros ; il portait au grand mât le pavillon carré national sous la flamme[1]. Le lendemain, lord Elgin se rendait à Hong-kong. Le 1er décembre, la Némésis, qui était en Chine depuis cinq ans, appareillait pour la France. Combien étaient partis avec elle qui ne revenaient pas ! Pendant cet intervalle, elle avait contribué à

  1. C’est une marque de grande distinction, mais différente du signe de commandement, représenté à peu près de la même manière dans la marine.