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guerre résumait dans un coup décisif le profit des occupations antérieures. Il utilisait la disposition particulière d’un pays couvert d’artères fluviales, accessibles à des moyens d’action dont l’ennemi était absolument dépourvu.

La dispersion de l’armée annamite, les pointes qui furent poussées par terre et par eau, donnèrent en quinze jours le territoire considérable qui s’appuie sur le Soirap et monte vers le nord-ouest, entre le Don-naï et la branche occidentale du Vaï-co. C’est à cette époque que fut résolue, entreprise et menée à bien l’expédition de My-thô, et que la conquête fut augmentée du quadrilatère situé le long du Cambodge et occupé depuis militairement. Bien-hoa était facile à prendre : on nous l’offrait, comme chacun sait en Cochinchine. My-thô était d’une conquête difficile ; ses approches étaient barrées, inaccessibles, d’après les rapports de la marine, du génie, de l’artillerie, de l’état-major. On avait vu Bien-hoa, on y était entré. My-thô était inconnu, formidable, d’après les rapports des Annamites. Pourquoi laissa-t-on de côté Bien-hoa pour s’avancer vers My-thô ? C’est que Bien-hoa seul est une place sans importance, qui rompait notre ligne de frontière et nous embarrassait d’une pointe inutile, et que My-thô est un point stratégique qui donne le Cambodge, les arroyos, partant les riz, et dont la possession permet d’affamer tout l’empire annamite.

La saison des pluies qui s’avançait et le peu de temps qui nous en séparait obligeaient de borner la conquête. On dut se préoccuper de circonscrire le nouveau territoire pour l’administrer et le gouverner. On chercha une ligne de frontière. Il y en a deux entre la province de Saïgon et l’Annam méridional ou province de Hué. La grande arête qui laisse sur son versant oriental le Tonquin et le royaume d’Hué se termine aux approches de la Basse-Cochinchine par un grand nombre de pâtés montagneux. Une succession de ces petites montagnes qui vont en s’abaissant graduellement, et dont la direction générale est perpendiculaire à la chaîne principale et à la côte, forme comme une solide muraille établie par la nature entre l’Annam du sud et ce qu’on appelait autrefois le Cambodge annamite. Une autre ligne de frontière, c’est le Don-naï : ce fleuve est profond ; il peut être remonté très haut par de grands navires et par des canonnières jusqu’à une courte distance de Tay-ninh. Ce n’est pas une frontière excellente, mais c’est une ligne naturelle et bien tracée dont la possession permet d’attendre la conquête de la province de Bien-hoa et la recherche de la véritable limite.

L’occupation de la place de Bien-hoa eût rompu complètement cette ligne du Don-naï. Elle n’eût pas mis un terme aux prédications des agens d’Hué, à leur politique, qui consistait à irriter les chefs de poste, à les faire sortir et à escarmoucher à la façon annamite,