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et Ashley lui répond qu’il le ferait volontiers sans qu’on l’en pressât, s’il avait quelque chose qui en valût la peine ; mais toutes ses études n’ont qu’un but fort simple, l’amélioration de soi-même. Il ne prétend à aucune découverte, à aucun système. Ceux qui inventent, comme Descartes ou Hobbes, lui paraissent des apothicaires ou même des charlatans qui ne cherchent qu’à composer une drogue qui les mette en renom. Quant à lui, si par aventure il trouvait quelque chose, il l’enfouirait aussitôt. Il ne pense pas qu’il y ait rien à apprendre que ce qu’il est facile de savoir : c’est qu’il y a un Dieu, que tout a été fait pour le mieux dans l’univers, que tout sera toujours ainsi, parce que tout est conduit par la cause excellente qui a tout fait, et qui est Dieu. Et quand on découvrirait de nouvelles preuves de cette vérité, on ne la saurait pas pour cela davantage. La connaissance d’une perfection de plus en Dieu ne nous le ferait pas concevoir plus parfait. La seule étude digne du sage est donc d’apprendre à se conduire d’après ce qu’il connaît de Dieu et du monde, à se connaître soi-même, à régler sa vie sur ces vérités ; il n’y a de savoir utile que celui qui profite à l’humanité, et un faiseur de boutons qui perfectionne son métier doit être plus estimé que tous les fondateurs de métaphysique, que tous ceux qui pratiquent l’art de raisonner sans but. Il n’y avait pas un des sept sages qui n’eût rendu quelque signalé service à sa république.

Quoique l’auteur de cette lettre ait toujours fait prédominer la morale dans ses écrits philosophiques, et qu’il se soit montré constamment fidèle aux grands intérêts de la société, il y a peut-être autant d’esprit de système que d’amour de la vertu dans cette sortie contre les systèmes. C’est bien là cette philosophie d’amateur qui aime à soutenir qu’il n’y a pas de philosophie ; c’est la boutade d’un esprit élevé et critique, qui, peu fait pour une analyse dialectique, en conteste les fruits, ne pouvant les cueillir. Cependant on entrevoit dès lors un moraliste qui n’a rien de vulgaire, et cette lettre n’est au fait qu’un sommaire de son ouvrage le plus méthodique, composé des sa jeunesse et tardivement publié. On y reconnaît, à vingt-trois ans, celui qui, deux années avant sa mort, écrivait à un jeune homme : « La parfaite connaissance que vous avez eue de moi, et la direction de toutes mes études et de toute ma vie vers la promotion de la religion, de la vertu et du bien de l’humanité, seront, j’espère, pour vous, de quelque bon exemple. »

C’est aussi en 1695 que, prenant enfin son parti, lord Ashley entra dans la carrière où l’appelait son nom, et il fut député à la chambre des communes par le bourg de Poole à la place de sir John Trenchard. Il fut compris dans l’élection générale qu’ordonna Guillaume III, saisissant comme une occasion favorable l’année signalée par la reprise de Namur, que ne célébra point Despréaux.