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fédéraux des régimens de nègres il décrète la mise en vente pour les Africains eux-mêmes, est décrit par M. Spence comme un sort presque enviable. Ses argumens sont ces vieilles armes rouillées que tout le monde connaît : le nègre est heureux parce qu’il habite une cabane, heureux parce qu’il mange à sa faim, heureux parce qu’il possède un jardin et nourrit quelques volailles, heureux parce que sa vie matérielle est moins pénible que celle du mineur troglodyte d’Angleterre ou du hâve tisserand de la Silésie. Il est vrai que le noir n’a point le droit de se déplacer, ni d’apprendre, ni de se marier, ni d’être père ; mais « l’esclave n’est pas animé des mêmes sentimens que le blanc : il lui est aussi naturel d’être esclave que pareil sort serait monstrueux pour nous ! » Et non-seulement la servitude n’est pas aussi laide que d’imprudens abolitionistes nous la dépeignent, mais encore elle est acceptée comme une des garanties de l’ordre social, et si les états du nord essaient de la supprimer, ils commettront un acte de parjure flagrant. « La constitution, fondée par des propriétaires d’esclaves, est un code d’esclavage ! » Et, s’appuyant sur cette assertion, qui malheureusement hier encore n’était pas entièrement dépourvue de vérité, M. Spence prouve que les états du nord n’avaient point le droit légal de toucher à l’institution sacrée ; il nous montre le président Lincoln, à son entrée en fonctions, promettant solennellement de respecter ce palladium des libertés du sud ; il prétend enfin que, si l’Union se rétablit, le premier acte des états libres sera de cimenter la paix en fortifiant l’esclavage et en offrant de nouvelles garanties aux planteurs !

D’après M. Spence, les causes de la rébellion des propriétaires du sud peuvent être toutes ramenées aux trois suivantes : la destruction de l’équilibre du pouvoir par l’immigration dans les états du nord, le sentiment d’animosité chagrine entretenu et constamment exalté chez les planteurs par l’agitation des abolitionistes, enfin le conflit des intérêts aggravé singulièrement par les tarifs protecteurs. Bien qu’il s’adresse principalement à des négocians, l’auteur anglais n’ose pas insister sur ce dernier grief avec autant de force que sur les autres : il avoue que les tarifs n’eussent pas suffi pour amener la séparation ; il reconnaît que, dans les discussions du congrès, les représentans du sud ne votaient pas avec ensemble contre les bills incriminés aujourd’hui ; enfin il compte les planteurs sucriers de la Louisiane parmi les protectionistes les plus fougueux. Il aurait pu dire également que le tarif Morill, ce tarif si contraire aux intérêts anglais, n’a pas été voté seulement par les voix des républicains du nord, et qu’il a reçu sa sanction définitive de la main d’un président tout dévoué à la cause de l’oligarchie méridionale. Il ne reste donc pour expliquer la scission actuelle que deux causes principales : la prépondérance croissante des états du nord et le mouvement abolitioniste ; mais ces deux causes ne sont-elles pas forcément ramenées à l’esclavage, que M. Spence prétendait n’être pour rien dans la lutte ? Pourquoi les émigrans d’Europe, pourquoi les agriculteurs de la Nouvelle-Angleterre se sont-ils dirigés par milliers et par millions