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ceux des petits, les vues de l’Autriche avec celles de la Prusse, l’omnipotence du pouvoir central avec l’indépendance de chacun des innombrables souverains, enfin les sages conditions d’un régime constitutionnel avec les folles rêveries des démocrates, pour ne point trop leur reprocher d’avoir failli dans leur œuvre ; tout au plus leur reprocherait-on de l’avoir seulement entreprise. Mais ce qui restera sans excuse, c’est l’égoïsme brutal et cynique dont fit preuve le génie allemand dans cette assemblée célèbre, c’est l’esprit de domination, de convoitise et d’envahissement qui se révéla comme l’âme même de la nation germanique, c’est l’ambition démesurée, qui, pour contraster de la manière la plus étrange avec l’impuissance réelle, n’en blessait pas moins les peuples ainsi cruellement outragés, et ne faisait qu’ajouter le ridicule à l’odieux. À peine née, la Germanie libre laissa entrevoir un appétit de Gargantua dont il est presque impossible de parler autrement que dans un style rabelaisien.

Dès le début se dressa devant l’église Saint-Paul la fatale question de la chanson d’Arndt : Quelle est la patrie de l’Allemand ? La chanson répondait ce qu’on sait, c’est que la patrie de l’Allemand était « partout où résonnait la langue allemande, » et certes ce n’était pas tracer là un cercle de Popilius. Le parlement de Francfort s’y crut pourtant encore à l’étroit ; la patrie pour lui était partout où il y avait un « honneur allemand » à défendre, un « intérêt allemand » à sauvegarder, un « avenir allemand » à ménager et une « mission allemande » à accomplir. Qu’on juge maintenant ce que chacun de ces mots cachait de guerres dans son pli, de chambres de réunion à faire pâlir le soleil de Louis XIV ; qu’on veuille bien aussi se rappeler que, dans ce sentiment d’un pangermanisme sans bornes, se confondaient tous les partis, toutes les nuances de l’ardente assemblée ! Forte de ces désirs unanimes et emportée par un véritable esprit de vertige, la grande constituante multiplia les provocations et amassa des trésors de haine. Ce n’était rien encore que de déclarer « que la réunion du Limbourg avec le royaume de Hollande était inconciliable avec la nouvelle constitution de l’empire, » et d’ordonner au pouvoir central « de terminer cette affaire à la satisfaction de l’honneur allemand. » Ce n’était rien même que de pousser la Prusse à l’invasion du Danemark pour la conquête de ce duché de Slesvig qui n’avait jamais fait partie de la confédération germanique, mais que réclamait impérieusement « l’intérêt maritime de l’Allemagne. » Les Slaves de la Bohême n’éprouvaient aucune envie d’envoyer des représentans à Francfort, ils convoquèrent un congrès à Prague ; le prince de Windischgraetz bombarda la ville, — et les hommes de Saint-Paul de voter des remercîmens au))rave soldat pour « la dé-