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a deviné, avec le bon sens du cœur, ce que j’avais tenté, ce que je devais souffrir, et il est venu me voir.

— Oui, dit Pierre, Aubry est un noble cœur; il vaut mieux que moi.

— Oh! reprit avec enjouement la comtesse, lui aussi est parfois injuste : il ne faut pas qu’il se voie frustré dans les espérances qu’il a conçues en qualité d’ambassadeur. Il m’en a beaucoup voulu de la réponse qu’il vous a portée de ma part, car il se l’était à l’avance figurée tout autre.

— Que croyait-il donc?

— Il pensait que je n’avais point osé vous proposer moi-même de devenir votre femme, et que j’allais le charger de vous offrir ma main.

— Et maintenant ne me l’offririez-vous plus? demanda Pierre en hésitant.

— Est-ce que vous ne la tenez point déjà, colonel? dit la comtesse.

Et de sa petite main elle serra doucement, fière et confuse à la fois, la main de l’officier.

— Oh! murmura Pierre en s’agenouillant devant Mme de Sabran, je vous aime et je vous aimerai toujours.

…………….

Quinze jours plus tard, le mariage du colonel Pierre et de la comtesse de Sabran fut célébré devant une nombreuse et brillante assemblée. Tous se montraient sympathiques à cette union. La comtesse était si belle; puis le colonel excitait un vif intérêt par sa renommée militaire, par l’originalité de sa vie et de ses mœurs. On saluait une fois de plus en lui le soldat naguère ignoré dont la fortune propice avait couronné les plus hautes ambitions. Après la cérémonie de l’église, quand ils eurent reçu les félicitations des assistans, les nouveaux époux, accompagnés d’Aubry, qui avait servi de témoin au colonel, retournèrent à leur hôtel; mais ce n’était pas pour y rester. Une berline de voyage, attelée de quatre chevaux, les postillons en selle, attendait dans la cour. La comtesse enlevait son mari, et l’emmenait dans une de ses terres en Normandie. Ils montèrent bientôt en voiture, pendant qu’Aubry, avec une sollicitude joyeuse, veillait à ce qu’il ne manquât rien de ce qui leur était nécessaire pour la route. Enfin il n’y eut plus qu’à donner le signal du départ.

— Merci, commandant, dit la comtesse, et ne tardez pas à venir nous voir.

— Tu entends, cher ami, fit à son tour le colonel; puis, d’une voix plus basse et en serrant fortement la main d’Aubry, il ajouta :