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que les cahots détraquent, et qu’il faut réparer. Fréquemment enfin on rencontre des chevaux de la poste voisine qui ont poussé leur promenade un peu loin; les postillons mettent pied à terre, appellent les vagabonds, et les attachent aux côtés des autres chevaux pour les ramener au logis. Toutes ces causes de retard expliquent pourquoi la poste valaque, si elle vole, comme le dit le proverbe, arrive cependant moins vite que les autres.

Il était nuit quand les voyageurs atteignirent Giurgevo. Le lendemain de bon matin, on songea à passer le Danube. Les Valaques et M. de Kératron étaient munis de passeports délivrés par le ministre des affaires étrangères de Bucharest, avec une autorisation spéciale pour entrer en Bulgarie. Ils pensaient que ces pièces leur donneraient à Routchouk un facile accès, puisque le gouvernement valaque, malgré l’occupation russe, traitait toujours la Porte comme suzeraine, et que l’hospodar Stirbey parlait même en ce moment de se retirer avec son ministère à Constantinople. Cependant, par précaution, le prince Inesco, dès le point du jour, envoya dans une barque Constantin à Routchouk, pour se mettre en règle vis-à-vis des autorités ottomanes. Saïd-Pacha fit dire que le passage du Danube était formellement défendu, et qu’il ne pouvait admettre aucun voyageur venant de Valachie. Il offrait cependant d’en référer à la Sublime-Porte et d’envoyer les passeports à Constantinople, d’où une décision pourrait arriver en trois semaines. Quand le domestique revint avec cette réponse, la princesse s’emporta contre le pacha, et déclara que rien ne l’empêcherait de franchir le Danube le jour même. Nicolas et Henri, qui, livrés à eux-mêmes, auraient sans doute montré plus de patience, épousèrent la colère de la princesse et se rangèrent à son avis. Il fut résolu qu’on passerait le fleuve malgré les ordres de Saïd. Les deux hommes inclinaient cependant à ne pas se charger de Cyrille et de ses gens. — Au contraire, dit la princesse, je les prendrai avec moi, et je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas avoir dix personnes de plus à faire débarquer à la barbe de ce Turc mal élevé! Et je lui conseille, quand nous serons dans sa ville, de venir me faire poliment ses excuses; sans cela, je veux perdre mon nom, si, arrivée à Constantinople, je ne le fais pas destituer!

On tint conseil sur les moyens de passer le fleuve. On renonça à le traverser en plein jour, sous les yeux des cavas, qui pouvaient faire une esclandre et mettre les voyageurs dans un grand embarras. On s’arrêta à l’idée d’essayer pendant la nuit un débarquement clandestin. Cyrille affirmait qu’on avait grande chance de réussir, Une fois débarqués, il donnerait aux Valaques et à Henri un gîte pour la nuit, et le lendemain ils auraient le loisir de s’expliquer avec le pa-