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se faire un mauvais parti, elle consentit à rentrer chez elle. En ce moment, le pillage gagnait les maisons qui bordent le Danube. Kaun et ses domestiques, Inesco et Constantin, ainsi que le capitaine de Kératron, barricadèrent la maison, et, armés jusqu’aux dents, se préparèrent à recevoir vigoureusement les bachi-bozouks, s’ils venaient pour la piller.

Quant à Henri, il avait pris part à sa façon aux agitations de cette nuit. Ce n’est point qu’il s’occupât des projets du pope Eusèbe, et nous avons vu qu’il n’attachait guère de prix à savoir si les Bulgares secoueraient le joug de leur pacha, ou si les Turcs déjoueraient les complots des Russes. Pendant toute la nuit, il fut occupé de la princesse et de Kyriaki. Attaché aux pas d’Aurélie, attentif à la préserver de tout danger, il songeait en même temps à Popovitza, qui de son côté sans doute courait des hasards. Il avait près de lui une grande dame capricieuse et spirituelle, conduite par sa fantaisie et sa curiosité, qui riait elle-même de son propre enthousiasme; mais il eût voulu savoir ce que faisait ailleurs la courageuse fille du pope. Sa pensée allait de l’une à l’autre, et s’il lui eût fallu dire à laquelle des deux il s’intéressait le plus, il n’eût pas répondu facilement. Aurélie, pour sa part, témoignait le désir de connaître ce qu’avait fait Popovitza. — Allez voir, dit la princesse au capitaine. Nous voilà fortifiés et en état de résister à un coup de main. Je n’ai plus besoin de vous.

Henri sortit en effet et courut de tous côtés à la recherche de Kyriaki. Il la trouva enfin dans l’église, et vint à temps pour la sauver d’un grand danger. Le pope, averti que les Russes avaient été repoussés dans l’assaut livré à l’un des forts et désespérant de voir attaquer la seconde batterie après l’heure convenue, avait abandonné le poste où il se tenait à l’entrée de la cour, et était rentré dans l’église avec les fidèles qui s’étaient groupés autour de lui. Bientôt après les bachi-bozouks envahirent le sanctuaire, et se mirent à enlever tous les ornemens sacrés. Eusèbe, monté dans la chaire, criait aux siens qu’ils les laissassent faire, et que toute résistance était devenue inutile; mais les Bulgares, sourds à sa voix, s’armant des balustrades, des bancs, de toutes les pièces de bois ou de fer qui leur tombaient sous la main, frappaient sur les agresseurs. On en vint aux armes, et les couteaux bénits sortirent du fourreau. Le pavé de l’église commençait à se couvrir de blessés, quand le capitaine y entra. Il aperçut en ce moment Popovitza, et à peine l’avait-il vue qu’elle fut renversée à terre au milieu de la lutte. Elle avait perdu connaissance et allait être foulée aux pieds, quand Henri se fit jour jusqu’à elle et l’enleva dans ses bras. Il parvint ensuite à sortir de l’église, et il avait même fait quelques pas dans la rue, quand Cyrille le rejoignit, l’accosta d’un air bourru et l’aida à por-