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aux cavas : — Voici votre prisonnier, dirai-je, menez-moi auprès du gouverneur. Alors j’expliquerai à Saïd ce que j’ai été faire de l’autre côté du Danube, je nommerai celui qui m’a envoyé... Ah! si tu voulais te jouer de moi, il fallait empêcher ton père de me livrer ses secrets! J’en suis le maître maintenant, et tu fais bien d’avoir peur !

Kyriaki s’était levée de son banc, et se rapprochant du jeune homme : — Tu n’es qu’un misérable! lui dit-elle les lèvres tremblantes ; je suis honteuse de toi.

Mais la colère de Cyrille était déjà calmée par les paroles violentes qu’il venait de dire. — Pardonne-moi, dit-il en reprenant un ton soumis, je ne sais plus ce que je fais; mais songe que tu viens de détruire en un instant l’espoir qui m’a rendu heureux depuis deux ans. Capricieuse enfant, tu agis sans motif, je puis bien parler sans mesure. Reviens à toi, comme je le fais moi-même. Demain, demain, nous nous reverrons ; tu me diras de meilleures paroles.

— A la bonne heure, dit Popovitza, je te retrouve tel que je t’ai connu autrefois.

— Et toi, dit Cyrille, redeviendras-tu pour moi ce que tu étais pendant les jours passés?

Terrifiée des menaces qu’il venait de faire, Popovitza eût voulu trouver quelques paroles d’encouragement pour lui permettre d’espérer encore; mais en même temps elle sentait en elle-même le ferme dessein d’en finir avec une fausse position qui lui avait coûté tant d’angoisses. N’osant mentir, n’osant plus s’expliquer trop durement, elle demeura immobile, silencieuse, les yeux baissés, pendant que Cyrille s’éloignait.

Quand elle fut seule, elle se rappela avec effroi ce qu’elle venait d’entendre. Cyrille avait parlé de tuer Henri, de trahir Eusèbe ! Cette exaltation du jeune Bulgare l’avait tellement frappée que, dès qu’elle ne le vit plus, elle ne put s’empêcher d’imaginer qu’il était parti pour mettre ses menaces à exécution. Dominée par cette idée, elle résolut d’en parler soit à son père, soit à Henri. Elle courut dans la maison, mais le pope n’était pas rentré. Elle revint dans le jardin et elle s’approcha de lapalissade, où elle espérait voir Henri; mais le capitaine n’y était pas. — J’irai le trouver, dit-elle, et je l’avertirai du danger qu’il court. — Elle appela un de ses petits frères, lui commanda de l’accompagner, et se dirigea rapidement, par le chemin qui borde le Danube, vers la maison qu’occupait M. de Kératron.

C’était une maisonnette de planches entourée d’un jardin ; elle n’avait qu’un seul étage, assez élevé au-dessus du sol et autour duquel régnait une galerie, où l’on montait par un escalier extérieur.