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n’eût-elle pas épargnés lors de l’affaire du Trent, si le chemin de fer dont nous parlons avait existé! Certes ses mesures furent prises avec une merveilleuse promptitude, et l’imposante escadre que quelques semaines, j’allais dire quelques jours, suffirent à réunir aux Bermudes ne laissait rien à désirer du côté de la mer; mais il fut loin d’en être de même au Canada : à peine ce pays se trouvait-il en état de défense lorsque tout fut terminé, à peine avait-il reçu ses troupes, et à quel prix? Ces sommes eussent payé bien des milles de chemin de fer, et la Nouvelle-Ecosse a dû les regretter plus d’une fois.

Il dépend de l’Angleterre de retarder ou de hâter l’union de ces colonies; mais il ne dépendra pas d’elle de l’empêcher, car, l’idée une fois lancée, elle est trop dans l’ordre naturel des choses pour ne pas aboutir. Il n’est pas nécessaire de pousser bien loin le don de divination pour voir dans l’union projetée le germe d’une future confédération destinée à compléter l’équilibre de ce vaste continent, et à balancer peut-être un jour dans la mesure qui lui sera propre l’influence des États-Unis. C’est dans la manière dont l’-Angleterre saura guider ces pays naissans que l’on verra jusqu’à quel point l’histoire de l’indépendance américaine lui a servi de leçon. De la séparation violente qui s’ensuivit alors, résultèrent chez la nation émancipée des souvenirs non encore éteints d’injustice et d’oppression; mais l’on sait aujourd’hui que les colonies n’ont de véritable valeur pour la métropole qu’autant qu’elles lui sont unies par les liens de l’affection. Et si celles qui nous occupent, après avoir grandi sous l’influence tutélaire de la Grande-Bretagne, demandaient à dénouer peu à peu la chaîne des rapports administratifs le jour où leur développement l’exigera, si elles en venaient à se séparer de la mère-patrie comme un ami se sépare d’un ami, en conservant ainsi qu’un pieux dépôt le souvenir reconnaissant des bienfaits passés, « croit-on, a dit un homme d’état, M. Gladstone, croit-on que l’existence d’une nouvelle race américaine, intimement liée à l’Angleterre par sa langue, ses mœurs et ses lois, ne serait pas de nature à accroître singulièrement l’influence britannique dans le monde civilisé ? » Espérons que cette brillante perspective se réalisera, car si l’union des Acadiens et des Canadiens en une seule famille rend à notre race la seule part d’influence qu’elle puisse revendiquer dans ces beaux pays que nous avons perdus, elle sert en même temps les intérêts de la civilisation tout entière dans une des plus intéressantes parties du globe.


ED. DU HAILLY.