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Puisque la presqu’île changeait de place comme un navire à l’ancre que font dériver les vagues, les villes et toutes les constructions qu’elle portait étaient d’avance vouées à la ruine. Ainsi périt la cité de Noviomagus, ce grand emporium que cite Ptolémée, et que l’on dit avoir été emportée par une terrible tempête vers la fin du VIe siècle. En 1625, le père Monnet prétendait distinguer les vestiges de l’antique cité au fond des eaux qui baignent l’écueil de Cordouan, et peut-être existe-t-il encore de nos jours des marins imaginatifs qui se penchent au bord de leurs embarcations pour apercevoir des restes de tours et de maisons noyées[1]. C’est au milieu des dunes de la presqu’île de Grave que se trouvaient aussi, dans le moyen âge, le village des Monts, les prieurés d’Extremeyre et de Sainte-Foy, le château de la famille de Montaigne et plusieurs, hameaux actuellement enfouis sous les flots ou sous les sables. Au sud de l’isthme étroit qui rejoint au continent les massifs des dunes de Grave, de grands et terribles changemens se sont également opérés. A l’époque de la domination anglaise, la ville de Soulac groupait ses habitations nombreuses à la base orientale des dunes et sur la rive gauche de la Gironde, qui coule aujourd’hui à plus de 4 kilomètres à l’orient. Un vieux parchemin rappelle les noms de vingt rues de l’ancien Soulac, presque toutes désignées d’après les villes ou les contrées avec lesquelles trafiquait la cité commerçante. Grâce à son heureuse situation et à la faveur de ses maîtres étrangers, elle était devenue la puissante gardienne de l’embouchure de la Gironde et l’intermédiaire des échanges entre Bordeaux et l’Angleterre : les flottes mouillaient dans sa rade, et c’est là qu’au milieu du XIIIe siècle Henri III vint s’embarquer avec sa suite pour se rendre à Portsmouth. Mais, tandis que Soulac nouait ou développait ses relations avec le reste du monde, la rivière se retirait peu à peu vers l’est. En même temps la redoutable chaîne des dunes, qu’on avait négligé de fixer ou que peut-être on avait déboisée, s’avançait graduellement, poussée par le vent de la mer. Déjà elle avait atteint l’extrémité de la ville et commencé l’ensablement des maisons, lorsqu’un violent orage la fît marcher comme à l’assaut, et les habitans de la Pompéi girondine eurent à peine le temps de s’enfuir en emportant leur avoir. Le nouveau Soulac, fondé par les fugitifs à près de 2 kilomètres au sud-est de la cité ensevelie, n’a jamais égalé la prospérité de son aîné; ce n’est aujourd’hui qu’un mince village sans importance.

  1. M. Raulin, auteur de la Géographie girondine, paraît disposé à chercher l’emplacement de Noviomagus dans les environs de Lesparre, où un bras de la Gironde, sinon la Gironde tout entière, coulait certainement autrefois, à une époque inconnue. D’autres écrivains croient que Noviomagus n’était autre que le Vieux-Soulac, où l’on a découvert beaucoup de médailles romaines.