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migrèrent pas. Tout rudoyé qu’il eût été par le maréchal Paskiévitch, tout désigné qu’il fut encore à une police ombrageuse, il voulut tenir quand même dans le pays comme dans une place assiégée, sans communication avec le dehors, sans nulle intelligence avec ceux de sa famille qui émigraient. Quand il se séparait de son frère, le général Zamoyski, l’un et l’autre se disaient que c’était probablement pour longtemps, qu’ils ne s’écriraient pas. C’était la claustration acceptée dans toute sa rigueur, et dès lors, le premier étourdissement de la défaite passé, commence toute une carrière nouvelle, protégée par l’obscurité même, où se dégage peu à peu un citoyen ne prenant pas des rêves pour des réalités, sans illusion au contraire, se refusant absolument aux conspirations vaines pour se vouer uniquement à des œuvres pratiques ; il ne sait ce qui arrivera de ses efforts et ne les continue pas moins, avec cette idée toujours présente qu’une nation ainsi accablée n’a d’autre moyen de se relever et de se défendre que le travail, la patience, la vigilance sur elle-même, et en quelque sorte la reprise de possession incessante de tout ce que la force ne peut lui disputer. Nul n’était peut-être plus propre à ce rôle de promoteur et de guide, je pourrais presque dire de précurseur en un certain sens, que le comte André Zamoyski. Par sa famille, une des plus grandes et des plus intègres du pays, il était naturellement un des représentans des traditions nationales; par son éducation, il avait le goût des réformes positives et une aptitude d’exécution qu’étaient venues encore développer des études scientifiques étendues faites en Angleterre, en France et en Suisse, sous le général Dufour, alors capitaine du génie. Attaché au ministère de l’intérieur comme directeur de l’agriculture et du commerce avant 1830, et même un instant ministre pendant la révolution avant d’aller à Vienne, il avait manié les intérêts matériels du pays; par sa nature enfin, il avait l’esprit net et résolu qui entreprend. Mais ce qui est caractéristique aussi, c’est la pensée nationale qui se cache au fond de toutes ces entreprises, si étrangères à la politique ou si modestes qu’elles soient. Le comte André se mit à l’œuvre, et il commença en prenant l’initiative d’une émancipation méthodique et graduelle des paysans sur les terres du majorat de sa famille, où il vivait renfermé pendant les premiers temps. Ce n’était que le commencement de cette série de tentatives d’un ordre en apparence tout matériel : établissement d’un haras national ou d’entrepôts, propagation des écoles de village, envoi de jeunes gens à l’étranger pour faire des études agricoles et industrielles, organisation de la navigation à vapeur sur la Vistule reliant les intérêts de la Galicie et du grand-duché de Posen à ceux du royaume, création de compagnies commerciales, fondation du