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Enfin Polygnote avait emprunté au sixième chant de l’Odyssée une scène qui prêtait aussi singulièrement à la peinture, Ulysse se présentant à Nausicaa et à ses compagnes, qui sont venues laver au fleuve. Il avait sans doute choisi le moment où les jeunes filles jouent à la balle pendant que les vêtemens précieux sèchent au soleil. « Au milieu d’elles, Nausicaa aux beaux bras dirige les jeux. Telle Diane, qui se plaît à lancer des flèches, parcourt les montagnes, le haut Taygète ou l’Érymanthe, à la poursuite des sangliers et des cerfs rapides. Autour d’elle jouent les nymphes des bois, filles du dieu qui porte l’égide, et Latone se réjouit dans son cœur. La fille d’Alcinous jette à une de ses compagnes la balle légère, qui s’égare et va tomber dans le courant profond. Toutes poussent un grand cri. Aussitôt le divin Ulysse sort des buissons qui le cachent. Il s’avance comme le lion nourri dans la montagne, qui, se confiant dans sa force, marche trempé de pluie et battu par l’orage. Il leur apparaît horrible, souillé par l’onde amère… » On se demande si un artiste n’était pas plutôt téméraire en voulant lutter avec de telles beautés que sage en s’inspirant d’un grand poète dont les chants étaient gravés dans toutes les mémoires ; mais Polygnote était accoutumé à rivaliser avec Homère, de même que Raphaël à rivaliser avec la Bible.

L’histoire ne nous transmet aucun détail sur les autres peintures dont Polygnote a pu orner les monumens athéniens. Peut-être était-ce d’Athènes que les Romains avaient tiré un tableau qui était placé sous le portique de la curie de Pompée, et représentait un Guerrier avec son bouclier. Peut-être était-ce à Athènes que se voyait le Châtiment de Salmonée, cet impie que, même dans les enfers, les foudres de Jupiter ne cessaient point de frapper. L’histoire ne nous apprend pas non plus pourquoi l’artiste célèbre quitta la ville qui l’avait adopté ; mais il est aisé d’en deviner la cause. Le bannissement de Cimon, la disgrâce de ses amis, l’abaissement de ses partisans, la suspension des travaux, une vie déconcertée, la tristesse qui accompagne toute crise politique, l’amertume des souvenirs et des comparaisons, une fidélité généreuse qui s’attachait aux vaincus, tout devait éloigner d’Athènes un homme qui n’y pouvait plus faire de grandes choses. Périclès ne promettait point encore aux arts la splendide carrière qu’il leur ouvrit plus tard. Pendant seize années, c’est-à-dire depuis l’exil de Cimon jusqu’à la paix de trente ans, le nouveau chef de la république fut réduit à l’impuissance par des guerres répétées, par les dissensions intérieures, par les oscillations redoutables d’une démocratie non encore réglée, et surtout par la pénurie du trésor public. Phidias était le seul confident des nobles projets qui devaient assurer à l’école attique un éclat incomparable. Polygnote ignorait ces projets : il ne