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CRISE MINISTÉRIELLE EN ESPAGNE.


La politique de l’Espagne vient de glisser dans une crise dont la gravité est justement dans ce qu’elle a d’indécis et d’obscur, mais qui, à quelques égards, ne pouvait avoir rien d’absolument imprévu en présence de la tension croissante qui s’est depuis quelque temps manifestée dans le mouvement des opinions, dans les polémiques, dans les rapports du gouvernement et des partis. Il y a un fait qui s’est vu quelquefois dans tous les pays constitutionnels et qui se reproduit presque invariablement au-delà des Pyrénées, c’est qu’un vote d’opposition du parlement n’ébranle pas un ministère, et qu’un vote favorable, fût-il presque unanime, ne le fait pas vivre. C’est ce qui vient d’arriver encore à Madrid. Le lendemain du jour où un vote de confiance couronnait les discussions passionnées d’où sortaient les adresses du sénat et du congrès, le ministère du général O’Donnell était pris subitement de défaillance et était obligé de se reconstituer. Ce n’est pas tout : ce cabinet reconstitué lui-même avait eu à peine le temps de vivre qu’il a eu ce qu’on pourrait appeler une rechute par la démission soudaine du ministre de la justice, M. Pastor Diaz, et cette crise nouvelle a conduit aussitôt à la suspension des cortès, qui à son tour va conduire sans doute à un acte plus décisif, la dissolution et une élection générale. Ce qu’il y a de plus grave peut-être, ce n’est pas cette dissolution d’une chambre qui touchait à la fin de son existence légale, c’est que l’élection se fasse en présence et sous les auspices d’un pouvoir assez difficile à définir, qui n’est plus ni l’ancien ministère ni le nouveau, et qui ne garde son identité, sa signification que parce que c’est toujours ie même homme, le général O’Donnell, qui en reste le chef. En tout ceci d’ailleurs, les chambres n’ont rien fait : elles ont voté pour l’ancien cabinet, voté pour le nouveau, entendu des explications et des interpellations, et en définitive elles ont été les témoins plutôt que les promotrices de cet imbroglio, qui a commencé et qui se termine en dehors de leur action apparente.

D’où viennent donc ces crises successives que nulle manifestation parlementaire, que nul vote du moins ne provoque ou n’explique? Elles sont le phénomène de cette situation de l’Espagne où il y a une sorte de dissonance permanente entre le jeu extérieur des institutions et le mouvement réel des choses, où les votes d’une majorité artificielle et docile ne sont qu’une expression équivoque ou inexacte du travail des esprits et des opinions. Depuis cinq ans déjà, le général O’Donnell est au pouvoir, et, à n’observer que le fait matériel, il a réussi sans nul doute à maintenir une situation qui avait toutes les apparences de la force; il a réussi en tenant groupés autour de lui, par son énergique ascendant, des hommes de tous les partis, conservateurs et progressistes, sous ce drapeau de l’union libérale qu’il arborait dès le premier jour. C’était assurément une heureuse pensée d’é-