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d’après la Séparation des Apôtres. Le tableau que vient de terminer M. Gleyre, Hercule aux pieds d’Omphale, va peut-être nous quitter, comme l’ont fait la plupart de ses devanciers, et le moment où on peut encore le voir à Paris est celui où il importe d’en dire quelques mots. Gustave Planche, qui ne se bornait pas, ainsi que l’ont prétendu des mécontens, dans sa probe et sévère critique, à combattre le mauvais goût et à fustiger les caprices et les engouemens du public, mais qui a su dans l’occasion, et avec une sagacité et un bon sens qui se sont rarement démentis, devancer et éclairer l’opinion, écrivait, il y a bien des années déjà : « M. Gleyre conçoit l’art dans sa plus haute acception, et ne l’a jamais confondu avec l’industrie. C’est à cette cause qu’il faut rapporter le petit nombre de ses œuvres. Bien des peintres qui ne possèdent pas la moitié de son savoir multiplient sans effort des compositions qu’un jour voit naître et périr. Contens d’eux-mêmes, ne rêvant rien au-delà de ce qu’ils font, ils donnent volontiers le signal des applaudissemens, et parfois la foule consent à les croire sur parole. Bientôt le bruit cesse, et la toile applaudie retourne au néant. La renommée de M. Gleyre n’est pas aujourd’hui ce qu’elle devrait être. Il ne s’agit pas en effet, dans le domaine des arts, de compter, mais bien de peser les œuvres. Si M. Gleyre n’occupe pas encore le rang qui lui appartient, j’ai la ferme confiance que l’heure de la réparation n’est pas éloignée. » Depuis le jour où M. Planche écrivait ces lignes, les œuvres de M. Gleyre se sont multipliées, sa réputation a grandi, et cependant il est loin d’avoir dans la masse du public cette popularité qui s’attache tôt ou tard à un talent dont la force et la sévérité plaisent aux difficiles et aux délicats, et qui possède en même temps le charme et la grâce qui séduisent la foule.

Faut-il attribuer cette sorte d’indifférence du public à une humeur un peu sauvage que l’on prête à M. Gleyre ? Il est certain qu’il fuit les applaudissemens bruyans avec autant de soin que d’autres les recherchent. Le public, sollicité de toutes parts, a besoin pour s’émouvoir qu’on lui fasse au moins quelques avances. Il est préoccupé de bien autres intérêts, et dans notre siècle la réputation des artistes qui méritent le mieux ce nom s’est faite lentement, témoin Géricault, Ingres, Barye. Cependant M. Gleyre n’est point méconnu ; il est au contraire très vivement apprécié par les personnes qui s’occupent d’art sévère, entouré d’élèves qui le respectent d’autant plus que, loin de s’en faire une sorte de cortège en leur imposant, comme il n’est que trop d’usage dans les écoles, sa doctrine personnelle et sa manière, il encourage chacun d’eux à développer librement ses aptitudes et à suivre la voie qui convient le mieux à son talent. C’est à d’autres causes qu’il faut attribuer cette sorte de demi-jour qui environne encore son nom. Les œuvres de M. Gleyre ont eu peu de publicité. La plupart de ses tableaux ont passé directement de l’atelier de l’artiste dans les musées ou dans le cabinet des amateurs. On ne les a vus ni dans les expositions publiques, ni chez les marchands ; on ne les connaît pas. Quelques-uns de ses ouvrages